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Du spirituel dans l’art : Sayed Raza

Recherches plastiques, teintes colorées par ses racines indiennes avec une résonnance d’une grande sensibilité composent l’univers exigeant du premier grand peintre indien de l’art abstrait.

© Sayed Raza

« Oui qu’est ce que la construction ? ». Sayed Haider Raza, 87 ans, tend deux mains fuselées dans la pénombre de son atelier parisien au cœur d’un ancien couvent du 11e arrondissement.  « En 1948, juste après l’indépendance de l’Inde, je faisais à Srinagar (Cachemire), l’une de mes toutes premières expositions avec quelques peintres indiens. J’avais 26 ans. Un photographe dont je connaissais la réputation était là. Il est venu me voir et m’a dit cette chose essentielle qui depuis ne m’a pas quitté : « Ecoutez Raza, j’aime votre peinture, vous avez le sens de la couleur et de la composition mais votre peinture manque de construction. Une peinture doit être bâtie comme une maison avec une structure, des murs, un toit. Vous devriez regarder le travail de Cézanne. Ce photographe qui m’expliquait tout cela, c’était Henri Cartier-Bresson.»

Membre fondateur du Progressive Artists’ group (ce mouvement né après l’Indépendance Indienne jette les bases de l’art contemporain indien), Raza comprend qu’il lui faut venir étudier à Paris. Il entre aux Beaux-arts, découvre l’école de Paris et les principaux acteurs d’une peinture non figurative. Raza voyage, dessine d’après nature en peignant des paysages. « J’avais beaucoup étudié Cézanne. Mes toiles commençaient ainsi à avoir des murs.J’obtenais même en 1956 le Prix de la Critique. Mais si mes peintures avaient désormais un toit, je n’étais nulle part. Où es-tu toi Raza dans tes toiles ? Dans ces paysages où est ton pays, où est la civilisation indienne ?  En fait mes peintures n’étaient pas habitées. Il manquait une présence, une émotion, un sentiment, ce qu’on appelle le bhâva dans l’esthétique indienne. L’inde devait réapparaître dans mes toiles. Je devais me ressourcer, repartir en Inde ». Raza a alors soixante ans. Il va y retourner chaque année.

© Sayed Raza, Dharti, 2005, 80X80 cm acrylic

Les années 1980 témoignent ainsi d’un tournant dans son œuvre. Rajasthan est sa première série dans laquelle il se retrouve car « ce n’est plus une réalité visuelle, mais une expression spirituelle ». L’artiste représente le Rajasthan non tel qu’il est mais tel qu’il le perçoit en tant que peintre. Pour Raza ce n’est pas encore suffisant. Il veut aller au plus près de sa nature, retrouver le plus instinctivement possible l’inné sous l’acquis, ce processus de création qui s’enclenche et « nous échappe » avec pour terreau cette « indianité » et une logique plastique. « Alors tout naturellement le bindu s’est imposé à moi. A l’âge de sept ans je détestais l’école. Mon père est allé voir l’instituteur. Quelques jours plus tard, l’instituteur m’emmenait devant le mur blanc de l’école sur lequel il avait dessiné un point. Assieds toi m’a-t-il dit et regarde tout simplement ce point avec confiance, avec bonheur ! On l’appelle bindu. Oublie tout, les oiseaux, les arbres, les leçons apprises. Le maître est alors parti, me laissant seul face au point. J’avais peur qu’il me punisse. Mais il est revenu et m’a dit : c’est bon rentre chez toi. Demain on peut commencer les leçons particulières. Sur le moment je n’ai rien saisi bien sûr mais cette leçon m’est restée…. j’ai compris plus tard »

Compris qu’à partir de ce point, de ce rattachement à un centre, tout pouvait repartir et tout était reparti comme son intérêt pour l’école alors qu’il était enfant. Le bindu est dans le monde hindouiste, la semence, la graine qui contient toute chose. Depuis Raza a parcouru bien d’autres mondes géométriques composé de triangles, de carrés ou de ronds ; autant de figures qui évoquent la tradition de la peinture tantrique (de tantra, la trame, la chaîne d’un tissu, la règle, le livre doctrinal) avec ses cercles, les mandala ou ses diagrammes, les yantras. Mais si Raza s’inspire du tantrisme, ce n’est pas pour en suivre les principes mais pour chercher à comprendre l’esprit de ce qui dans ses déclinaisons a priori abstraites (les yantra sont des supports visuels de méditation) touche non pas notre intellect mais notre perception la plus élevée, la plus profonde. Une démarche essentielle dans la recherche formaliste de l’artiste. Car Raza, bien que construisant « une œuvre plastique à part entière » rappelait le critique d’art, Pierre Gaudibert, tente toujours d’éveiller, de solliciter la meilleur part de nous mêmes. Une volonté qui n’est pas sans filiation avec cette croyance de l’Inde ancienne qui postulait que « l’homme détient toujours une étincelle divine mais n’en a jamais conscience ».

Philippe Pataud Célérier

Tous mes remerciements à Sayed Raza.

Pour aller plus loin :

Raza, Alain Bonfand, Les Editions de la Différence, 2008. Mandalas, Olivier Germain-Thomas, Editions Albin-Michel, 2004. L’Inde de Raza, collection Raza-Mongillat, Gorbio, Alpes-Maritimes, catalogue d’exposition 13juillet-28 octobre 2007.

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