15 mois après l’investiture du président indonésien Joko Widodo où en sont les Papous ?

15 mois après l’investiture du président indonésien Joko Widodo où en sont les Papous ?

L’élection du nouveau président indonésien Joko Widodo en juillet 2014 avait soulevé de nombreux espoirs. D’autant plus forts que celui qu’on avait surnommé « L’Obama de Jakarta » pour la rupture qu’il prônait vis à la vis de la politique de ses prédécesseurs – en particulier avec celle de l’ancien régime dictatorial (1967-1998) du général Suharto (1921-2008) – s’engageait à ouvrir la Nouvelle-Guinée occidentale aux organisations non gouvernementales ONG et à la presse étrangère. Quinze mois après l’investiture du président Widodo, quelle est la situation politique en Papouasie Occidentale ?

Centre Papouasie © ppc
Centre Papouasie © www.philippepataudcélérier.com

La libération le 27 octobre 2015 des deux journalistes français, Thomas Dandois et Valentine Bourrat (ils avaient été condamnés à deux mois et demi de prison pour avoir effectué sans autorisation un reportage en terre papoue) – semblait confirmer les promesses électorales du candidat; tout comme les déclarations que cette fois le président Widodo faisait à la presse ce 10 mai 2015 pour réaffirmer l’accès sans condition des journalistes étrangers à cette région papoue passée depuis 1963 sous la férule indonésienne (1). Ce même jour le président libérait cinq militants indépendantistes.

Nouvelle campagne de presse de Reporters sans frontière dans le métro parisien, mai 2016 © www.philippepataudcélérier.com
Nouvelle campagne de presse de Reporters sans frontière dans le métro parisien, mai 2016 © www.philippepataudcélérier.com

Ce geste symbolique  avait surtout pour objet de désamorcer la méfiance des leaders papous et la défiance des nations sœurs mélanésiennes à l’heure de grands rendez vous internationaux. Joko Widodo se rendait en effet le lendemain en Papouasie Nouvelle-Guinée pour dissuader son voisin frontalier de soutenir la demande d’adhésion du Mulpo (Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale) au sein du Groupe mélanésien fer de lance (GMFL). Cette institution régionale en entérinant la demande du Mulpo accorderait implicitement un embryon de reconnaissance institutionnelle à ce mouvement initié depuis seulement ce 6 décembre 2014 par les trois principaux groupes indépendantistes papous. Autant dire une épine dans le pied du président indonésien. Le 19 novembre 2015 c’était au tour de Filep Karma d’être libéré. Ce prisonnier politique, pressenti même pour le Nobel de la paix avait été condamné à 15 ans d’emprisonnement pour avoir brandi ce 1er décembre 2004 le drapeau papou de l’étoile du matin. Une libération là encore hautement médiatique qui occultait les dizaines d’arrestations de militants papous qui suivaient en silence. Et porte aujourd’hui le nombre total de prisonniers politiques détenus en Papouasie à une soixantaine de personnes (2).

Nouvelle-Guinée Occidentale est aujourd'hui divisée en deux provinces : Papouasie et Papouasie Occidentale © DR
La Nouvelle-Guinée Occidentale est aujourd’hui divisée en deux provinces : Papouasie et Papouasie Occidentale © DR

On le voit faits et déclarations empruntent des chemins différents. Mais en ce début d’année 2016 la réalité est un sérieux démenti aux promesses et paroles tenues par le président indonésien. Quinze mois après l’investiture présidentielle de Widodo le constat est sans appel. Ne peuvent se rendre en Papouasie que les journalistes ayant fait preuve d’une totale servilité à l’égard du pouvoir central. Les autres se voient signifier une interdiction de visa. C’est ce qui est arrivé au journaliste Cyril Payen suite à la diffusion sur France 24 de La guerre oubliée des Papous (3). Son reportage avait suscité l’ire des autorités indonésiennes qui ont finalement déclaré persona non grata en Indonésie tous les journalistes de la chaîne France 24.

© Eko Nugroho / Photo PPC.
© Eko Nugroho / www.philippepataudcélérier.com

Cette attitude ne surprend guère : l’Indonésie occupe la 138e place sur les 180 pays hiérarchisés par Reporters sans frontières selon l’usage qu’ils font de la liberté de la presse mais donne passablement raison au principe de précaution prescrit par les autorités indonésiennes : comment pourraient-elles prendre en effet le risque d’ouvrir la région aux médias étrangers sachant que les populations papoues y sont continuellement soumises à d’innombrables exactions ? Pas une semaine sans qu’un crime, un viol, un tabassage (73 cas de torture référencés en 2014), un emprisonnement ne soit enregistré.

« Pourquoi ces personnes tuées sont-elle aussi jeunes ? Simple lâcheté des tueurs ? Ou action criminelle à portée psychologique soigneusement réfléchie ? »

Depuis ses quinze derniers mois, on dénombre – pour ce qui est des crimes connus – pas moins de deux à trois meurtres chaque mois. Le 8 décembre 2014 (Enarotali, province de Paniai) des militaires indonésiens assassinaient quatre jeunes papous de 17 et 18 ans (Alpius Youw, Yulian Yeimo, Alpius Gobai, Simon Degei). Dix-sept autres étaient blessés. Ils manifestaient leur colère contre ses militaires qui avait tabassé la veille l’enfant papou qui avait lancé une pierre contre le camion militaire qui avait faillé l’écraser. Le 19 mars 2015 (Dekai, province de Yahukimo) un papou de 16 ans était tué, un autre blessé, trois autres arrêtés, emprisonnés, torturés par la police. Le 25 juin 2015 (Ugapuga, province de Dogiyai) Yoseni Agapa, 15 ans, était assassiné. Le 17 juillet 2015 (Karubaga, région de Tolikara) douze Papous étaient blessés par des militaires. L’un mourait sur le champ. Arrêté le 17 août 2015, Rigo Wambo allait décéder de ses blessures. Le 27 août 2015 (Jayapura) Wilhelmus Awom, 26 ans Soleman Yom, 27 ans et Yafet Awom, 19 ans étaient enlevés et torturés par la police. Le 28 août 2015 (région de Timika) Yulianus Okare et Imanuel Marimau (18 et 23 ans) étaient abattus ; 4 autres étaient gravement blessés. Le 28 septembre 2015 (district de Mimika) Kalep Bagau (21 ans) était tué, deux autres blessés. Une heure plus tôt avait été assassiné Niko Bedes, 21 ans dans une rue de Timika. Le 1er décembre 2015 les militaires indonésiens faisaient irruption dans le village de Wananpompi sur l’île de Yapen tirant sur la douzaine de papous qui s’étaient rassemblés pour hisser le drapeau de l’étoile du matin. Deux mourraient aussitôt, deux autres étaient battus à mort. À cette violence les papous répondent aussi parfois par la violence. Un officier indonésien était tué. Par peur des représailles 120 familles fuyaient dans la forêt en cette fin et début d’année 2016 (région de Memberamo).

Hautes terres papoues © ppc
Hautes terres papoues © www.philippepataudcélérier.com

Cette funeste liste  – bien incomplète – achoppe sur deux constats : l’impunité dans la majorité des cas  de leurs auteurs (policiers et militaires) et l’incroyable jeunesse des victimes – étudiants et collégiens pour la plupart – étrangères à toutes implications terroristes. Une question interpelle : pourquoi ces personnes tuées sont-elle aussi jeunes ? Simple lâcheté de leurs bourreaux ? Ou action criminelle à ressorts psychologiques soigneusement réfléchis ? Sachant qu’en assassinant des enfants on provoque irrémédiablement la colère des aînés. Et avec elle ces débordements de foule propices aux réponses policières et militaires, aveugles et meurtrières; qui, aussi répressives et disproportionnées soient-elles, seront toujours justifiées par les autorités locales pour des raisons sécuritaires; le désordre organisé et planifié pour légitimer le maintien de l’ordre, la férule assassine.

Cette impunité est bien sûr dictée par le poids des enjeux économiques qui lestent la Nouvelle-Guinée Occidentale et plaident en défaveur des Papous ; c’est à dire en faveur de leur spoliation ; le fait pour un papou d’être dépouillé de sa terre, par fraude, abus de pouvoir ou tout simplement par la violence. Et force est de reconnaître qu’en la matière les mobiles ne manquent pas.

Freeport en action © DR
Freeport en action © DR

La Nouvelle-Guinée occidentale regorge de ressources naturelles : or, cuivre, uranium, nickel, huile, gaz naturel, forêt (un quart de la surface sylvestre de l’Indonésie). La compagnie minière Freeport-McMoRan (Phoenix) est de loin le plus grand investisseur étranger en Indonésie ; aussi le plus contesté dans ses méthodes d’extraction des ressources (les plus gros gisements d’or et de cuivre au monde) et d’exploitation des hommes. Un ethnocide pour les populations locales, que ce soient les Kamoro qui vivent en bordure de côte ou les Amungme forcés de troquer les hautes terres froides de la région de Tembagapura contre les marécages côtiers des basses terres impaludées de Timika. Un ethnocide doublé d’un écocide ; la mine pouvant rejeter quotidiennement jusqu’à 300 000 tonnes de boue de métaux lourds. Selon les études une superficie entre 200 km2 (noyau dur) et 30 000 km2 serait aujourd’hui empoisonnée. Une tragédie vécue d’autant plus mal localement que le premier contribuable du pays (Freeport a rapporté 1,5 milliard de dollars à l’État indonésien en 2014) ne verse quasiment rien aux populations autochtones, pourtant les plus impactées par les rejets miniers et les indemnités qui devraient en découler. Pis des tractations se tiennent actuellement pour prolonger le contrat au delà de 2021 entre le gouvernement indonésien et la compagnie minière à l’insu des populations papoues; les premiers pourtant concernées.

Habitat papou © ppc
Habitat papou, Hautes terres Dani, Papouasie © www.philippepataudcélérier.com

Sur les 112 000 incendies enregistrés dans le pays par le BMKG (Agency of Meteorology, Climatology and Geophysics) entre début août et fin octobre 2015, 10% ont eu lieu en Nouvelle-Guinée Occidentale. Les terres sont brûlées pour produire de l’huile de palme, de la canne à sucre, du maïs, du soja, ou faire pousser ces pâtures qui nourriront demain les bœufs australiens condamnés aux étals de fast-food. Parmi ces nombreux programmes, celui du sud de la Papouasie, le Merauke Integrated Food and Energy Estate (MIFEE) lancé en 2010 est de loin le plus menaçant pour les populations autochtones (4). Son emprise – 2,5 millions d’hectares de concession (à comparer aux 2 millions d’ha de surfaces agricoles ayant disparu depuis 30 ans en France) – menace la sécurité alimentaire des communautés locales.

Celles-ci voient en effet leur alimentation de base, le palmier sagoutier, remplacé par des cultures d’exportation (canne à sucre, huile de palme, eucalyptus). Si ces monocultures ne profitent guère aux papous (la majorité des travailleurs étant des migrants indonésiens) elles provoquent en revanche la famine et le délitement de ces constructions, repères et liens sociaux, culturels et identitaires que ces pratiques culturales (modes de rapports traditionnels à la culture des terres), nourrissaient chez les autochtones. Et les sujets d’inquiétude vont crescendo. Widodo n’annonçait-il pas en mai 2015 que la région deviendrait au cours des trois prochaines années le grenier à riz du pays. À raison de 250 000 ha traités par semestre, 1,2 million d’hectares seraient transformés en rizière en moins de trois ans avant que cette superficie ne soit étendue à 4,6 millions d’hectares (bien au-delà du seul département de Merauke afférent au projet MIFEE). Le tout, exécuté en partie sous l’égide de la société Medco, un ancien groupe pétrolier indonésien, l’un des pionniers de l’agro-business en terre papoue aux pratiques peu regardantes en matière de respect des droits de l’homme Comme peut en témoigner la communauté villageoise de Zanegi (Province de Merauke) dépossédée, divisée, clochardisée désormais (5).

L’exploitation de ces ressources naturelles et les multiples emplois qu’elle fait miroiter attirent immanquablement de nouveaux migrants. La Nouvelle-Guinée Occidentale est un eldorado. Elle représente, ne l’oublions pas, 20% des terres émergées de l’archipel pour seulement un peu plus de 2% de la population indonésienne. Tandis que sur l’île de Java 2/3 de la population indonésienne (soit 150 millions d’habitants environ) vivent sur à peine 6% de l’ensemble des terres indonésiennes. Même si en juin 2015 Joko Widodo a annoncé « l’arrêt du programme officiel de transmigration vers la Papouasie », programme qui visait à décongestionner les îles surpeuplées de l’archipel, en sponsorisant le voyage et l’installation des migrants indonésiens en terre papoue, rien ne peut en revanche freiner ces vagues permanentes de migration spontanées qui ont toujours été les plus nombreuses. À tel point qu’aujourd’hui les papous sont devenus minoritaires sur leurs propres terres. Selon certains chercheurs, en 2020, ils ne représenteront plus que 29 % de la population de Nouvelle-Guinée occidentale (contre 96 % au milieu des années 1960). Niées politiquement, marginalisées économiquement, oubliées socialement, stigmatisées culturellement, les populations papoues sont en sursis. Un sursis qualifié désormais par nombre d’observateurs de « génocide au ralenti ».

© Philippe Pataud Célérier, mars 2016

Notes :

Dernier article : Nations Unies : les Etats du Pacifique s’inquiètent des violations des droits de l’homme perpétrées par l’Indonésie sur les Papous

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