La vie des Papous compte

La vie des Papous compte

Un an après les manifestations antiracistes qui ont embrasé la Nouvelle-Guinée occidentale, provoquant une vague d’indignation internationale sans précédent, la Papouasie retombe progressivement dans l’oubli. Avec d’autant plus de gravité que son territoire violemment annexé par l’Indonésie depuis 1963, subit à nouveau une intense occupation militaire. Pour éviter tous nouveaux soulèvements les forces dites de sécurité mettent au pas ses habitants en multipliant les violations aux droits Humains (meurtres, tabassages, tortures, viols, discriminations, emprisonnements,…). Et ce, avec l’insouciance que garantit l’impunité; gage aussi de nouvelles émeutes à venir. Mais peu leur et lui importe. Ce qui prévaut pour l’État indonésien, puissance coloniale, n’est pas de protéger les Papous mais de sécuriser l’accès aux colossales richesses de leur territoire. « Papuan lives matter ! » crie la foule dans les rues au péril de leur vie. « la vie des Papous compte » Mais combien de victimes encore pour qu’on les entende enfin ?

Andi Bhatara. — « Sa Tra Pernah Minta Merah Putih », 2020 Avec l’aimable autorisation du collectif Udeido.

Coupables de Trahison ! Passibles de 11 à 17 ans d’emprisonnement! », affirment les procureurs du tribunal du district de Balikpapan (Indonésie). Les réquisitions sont lourdes en ce mois de juin 2020. Elles visent sept détenus papous récemment transférés dans la province de Kalimantan oriental, la partie indonésienne de l’île de Bornéo situé à l’est de l’archipel. Leur crime ? Avoir participé, organisé pour certains, l’une de ces manifestations monstres qui entendaient une fois de plus dénoncer ce racisme anti papou qui accable la population depuis près de six décennies.

Tout est parti de Surabaya. Dans cette ville indonésienne de l’est javanais, quarante trois étudiants papous étaient violemment harcelés ce 16 août 2019 par des extrémistes. Les forces spéciales d’intervention prenaient d’assaut le dortoir des étudiants. En quelques minutes, les papous étaient gazés, molestés, menottés. En un mot : condamnés,  sans autres explications que les injures, pierres et crachats que la foule leur lançait tandis qu’ils étaient poussés dans les fourgons cellulaires (1). Pour les forces d’intervention la culpabilité des étudiants ne faisait aucun doute. Reposant moins sur la nature de l’infraction dénoncée par leurs zélés accusateurs (un drapeau indonésien couché dans le caniveau) que sur l’origine ethnique des étudiants : des Papous, noirs de peau, boycottant probablement ce rendez-vous national que les Indonésiens s’apprêtaient à fêter: ce fameux 17 août qui, en 1945, avait vu l’Indonésie, après 350 ans de servitude, déclarer aux Pays-Bas, sa proclamation d’indépendance.

Pour être légitime cette fête nationale a un goût amer. Tout particulièrement pour les Papous. L’ancien colonisé n’est-il pas aujourd’hui leur colonisateur ? La Nouvelle-Guinée Occidentale, terre ancestrale depuis plus de 40 000 ans n’a t-elle pas été annexée violemment par l’Indonésie ce 1er mai 1963 ? Intégré à l’archipel, leur  territoire divisé depuis en deux provinces indonésiennes (la Papouasie et la Papouasie Occidentale) était soumis à un féroce programme d’indonésianisation irrigué à grands renforts de flux migratoires issus de tout l’archipel. Minoritaires sur leur propre territoire (2), les Papous sont humiliés par ceux là mêmes qui ont pour mission de faire respecter la loi. Comme en témoignent de façons accablantes les différentes vidéos prises ce 16 août autour du dortoir. Parmi cette foule haineuse, en dehors des extrémistes de tous poils, nationalistes et religieux, se distinguent les forces de sécurité. On les voit violenter mais aussi injurier, traiter de porcs, de singes, les étudiants papous. De Sabang à Merauke, d’ouest en est de l’archipel indonésien, les images enflamment les réseaux sociaux. La réaction est immédiate. Sans précédent par son ampleur.

Entre le 19 août et le 30 septembre 2019, près de 90 manifestations antiracistes et pacifiques défilent dans une quarantaine de villes papoues et indonésiennes. « Non nous ne sommes pas des singes ! Non aux discriminations raciales ! Référendum d’autodétermination ! Rendez-nous notre terre natale ! » crient plusieurs dizaines de milliers de manifestants, avant d’être brutalement dispersés, tabassés par la police et les milices civiles. Au total ces émeutes firent, selon les sources (3), une soixantaine de morts (papous et indonésiens), 280 blessés (mais probablement bien au-delà les hôpitaux étant surveillés par les militaires). Face aux répressions militaires, 22 800 personnes fuirent leur maison, environ 40 000 aujourd’hui, parmi lesquelles on dénombre à ce jour plus de 310 victimes, principalement des femmes et des enfants. Sur le millier de militants arrêtés, 115 font l’objet de poursuites judiciaires, 22 sont inculpés de trahison (makar) dont les sept papous transférés à Balikpapan, une ville située à 2500 km de chez eux.

Un dépaysement judiciaire officiellement justifié pour des raisons de sécurité et de sérénité des débats. Officieusement pour compliquer la tâche des avocats de la défense et priver les sept prévenus, en fait d’importants leaders papous, de tous soutiens logistiques, familiaux, communautaires et moraux. Parmi eux figurent : M. Buchtar Tabuni, président du National Parliament of West Papua (il regroupe une trentaine d’organisations de Papouasie occidentale promouvant l’unité nationale) ; Agus Kossay, président du Comité national de Papouasie occidentale (Komite Nasional Papua Barat, KNPB), l’un des mouvements politiques papous les plus influents ; Stevanus Itlay, reponsable local du KNPB pour la région de Timika ;  Ferry Gombo, responsable de l’association d’étudiants de la plus grande université publique de Papouasie (Universitas Cenderawasih) ainsi que trois autres militants responsables d’associations étudiantes (4).

« Je ne suis pas un singe », Papouasie Occidentale, 2019 © DR

Ce 5 juin 2020 les procureurs réclament 17 ans de prison pour les trois responsables politiques papous; onze années pour les quatre leaders étudiants. Des peines parmi les plus sévères du Code Pénal indonésien (CPI) – si l’on excepte la peine de mort. Est en effet « punie par une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à vingt ans maximale » selon l’article 106 du CPI « la trahison commise dans l’intention de soumettre le territoire national entièrement ou partiellement sous domination étrangère ou d’obtenir la séparation d’une partie dudit territoire ». Une définition bien vague qui affranchit l’infraction pénale de sa matérialité, c’est ) dire de l’acte lui même). Saisis en 2018, les membres de la Cour constitutionnelle indonésienne réaffirmaient à l’unanimité que les dispositions relatives au crime de trahison ne contredisent en aucun point les libertés fondamentales défendues par la loi Constitutionnelle. Ils prenaient appui sur l’article 87 du Code criminel indonésien qui rappelle qu’une « intention manifeste » est en soi suffisante pour sanctionner pénalement l’auteur d’une tentative de commettre un crime. Reste à définir ce qu’est une « intention manifeste ? » Le fait de défiler dans la rue en arborant les couleurs du drapeau papou sur son torse? De se réunir librement ? D’exprimer pacifiquement ses opinions politiques ? Autant de situations, d’attitudes, de signes in fine, laissés au seul pouvoir d’appréciation des juges ; lequel peut devenir bien arbitraire en l’absence de textes définissant avec rigueur les éléments légaux, moraux et matériels caractérisant l’infraction pénale.

Cette très opportune ambiguïté juridique n’est bien sûr pas sans intérêt, souligne l’ONG International Coalition for Papua (5). Elle donne aux juges la possibilité de criminaliser la liberté d’expression et de restreindre le champ d’application des libertés individuelles. « L’article 106 du CPI permet aux autorités indonésiennes d’arrêter et de punir toutes personnes se livrant à des activités politiques pacifiques ». « Avec pour effets, complète une juriste indonésienne souhaitant garder l’anonymat, de renverser l’accusation, de détourner l’attention sur l’objet réel du procès. Ce n’est plus l’Etat indonésien qui est accusé d’exactions à l’encontre des Papous mais bien les Papous accusés de porter atteinte à la sécurité de l’Etat ». Une méthode éprouvée selon la juriste : « Quand  les autorités indonésiennes ne peuvent pas réfuter les preuves qu’on leur oppose, elles tentent de détruire la crédibilité de ceux ou celles qui les apportent ».

Pour les avocats de la défense, l’heure n’est guère à l’optimisme. À proportion des intimidations physiques et des menaces de mort qu’ils subissent. Yuliana Yabansabra et Ganius Wenda, deux jeunes juristes papous décéderont d’ailleurs l’un et l’autre à quelques semaines d’intervalles jetant un profond désarroi parmi les avocats (6). Chacun ayant en mémoire l’affaire de Munir Said Thalib (1965-2004), célèbre militant des droits de l’homme en Indonésie empoisonné par le BIN, les services secrets indonésiens (7). Ceux là mêmes qui harcèlent et poursuivent actuellement sa digne héritière, la juriste Veronica Koman. La jeune femme, menacée de viol et de mort, pour avoir médiatisé sur les réseaux sociaux l’attaque du dortoir de Surabaya a été obligée de fuir en Australie. Elle est accusée d’incitation à la haine raciale, de diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux visant à attiser la haine ethnique.

Munir Said Thalib assassiné en 2004 © DR

Cette accusation n’est pas sans ironie. Le gouvernement indonésien ayant dépensé plus de 300 00 dollars – seulement pour ses interventions sur Facebook – afin de distiller rumeurs et fausses nouvelles en lien avec la Papouasie (8). Une notice rouge a même été demandée à Interpol par les autorités indonésiennes pour obtenir l’extradition de la jeune femme. Difficile de dénoncer les violations des droits humains en Papouasie. La presse internationale n’est pas admise et les rares journalistes papous, comme Victor Mambo, rédacteur en chef du site et journal basé à Jayapura Tabloid Jubi, poursuivant encore leur métier, subissent de terribles harcèlements (9). La pandémie complique parallèlement la tache. Les avocats de la défense ne pouvant rencontrer leurs clients bien qu’aucun protocole sanitaire n’ait été mis en place. La distanciation physique est réservée aux seuls criminels de droit commun ; non aux Papous entassés dans des cellules insalubres, auxquels les procureurs de Balikpapan réservent seulement un jugement exemplaire.

Contre toutes attentes, c’est à la faveur d’une tragédie surgissant à quinze mille kilomètres de l’archipel que le procès de Balikpapan va susciter un regain d’intérêt inespéré. La mort diffusée en direct sur les écrans du monde entier de Georges Floyd, noir américain, expirant ce 25 mai 2020 une dernière fois: « I can’t breath » avant d’être asphyxié sous les genoux d’un policier blanc. Pour nombre d’observateurs cette scène n’est pas sans rappeler celle de 2016, du papou Obby Kogoya, appelant désespérément à l’aide, la figure écrasée, piétinée, déformée par les policiers indonésiens. Les photos accolées de Floyd et de Kogoya se propagent bientôt sur les réseaux sociaux. Le mot-clic « #BlackLivesMatter » (la vie des noirs compte) se transforme en « #PapuanLivesMatter » relayé par les militants mais aussi par cette frange progressiste de la société indonésienne que révulse un régime politique de plus en plus liberticide sous la toise rigoriste d’autorités religieuses.

Combien de George Floyd papous, tués, violentés autour de cette même date ? Marius Betera, battu à mort par la police indonésienne le 16 mai 2020 ; Heniko Somau et Alemalek Bagau, soignants, le premier est tué, le second gravement blessé par la police le 23 mai 2020 ; Justinus Silas Dimara tué par un canon à eau le 25 mai 2020; Gerson Son Tabuni, blessé par balles, emprisonné, torturé le 26 mai 2020 ; Kalep Kilungga arrêté, emprisonné, torturé ce même jour. Des dizaines d’associations d’étudiants et de lycéens, des syndicats, des acteurs, dénoncent les discriminations raciales. Certains artistes comme le collectif Udeido publie en synergie avec le quotidien national, The Jakarta Post, l’exposition virtuelle « Tonawi mana » aux seules fins de rappeler aux Indonésiens qui l’ignorent encore (la plus grande majorité) le terrible massacre de Biak resté toujours impuni à ce jour (11). Udeido est d’ailleurs pour les Mee (groupe ethnique papou, le nom d’une nom d’une plante aux vertus cicatrisantes. Mais si les médias grand public s’indignent de l’affaire « Floyd », ils sont plus réticents à dénoncer, dans un même élan solidaire, les violences raciales subies par les Papous. La défense des minorités est toujours plus défendable à l’étranger. Et ce, davantage, quand la sujétion d’un petit nombre (2,5 millions environ de Papous) permet à la plus grande majorité (265 millions d’indonésiens) d’empocher les dividendes de son indifférence ou de son ignorance. Les provinces papoues (mines d’or, de cuivre, gaz,…) rapportant au gouvernement indonésien ses plus forts revenus.

Pour certains leaders, c’est l’occasion d’agiter plus encore ce concept de négritude ; de mobiliser ces solidarités électives tenant aux discriminations raciales. Si le sort des Papous suscite peu d’intérêt au-delà de leur ancrage océanien, celui de leur asservissement en raison de leur couleur de peau, sera, espèrent-ils, un instrument de lutte politique beaucoup plus fédérateur. Quoi de commun entre un Afro-américain et un Papou ? Pas grand chose si ce n’est une souffrance analogue ; celle de cet épiderme juste assez noir pour qu’on puisse lui faire la peau en toute impunité. Des Etats-Unis à l’Europe, de l’Afrique à la Mélanésie, des médias internationaux (Los Angeles Times, Jeune Afrique, ABC News, Jakarta Post…)  suivent ce procès avec attention. Les Associations de défense des droits humains, des politologues, des juristes dénoncent la confusion savamment entretenue entre liberté d’expression et acte de trahison (12). Une remarque que partagent les citoyens soucieux de ne pas voir l’Indonésie enfourcher une nouvelle fois ses démons dictatoriaux – du temps de Suharto (1967-1998) et de son ordre nouveau – alors même que s’élaborent en toute opacité les futures dispositions liberticides (moralisation de la société indonésienne, criminalisation des insultes envers les plus hautes autorités de l’Etat, …) du nouveau Code Criminel.

Devant ces réactions, Jakarta tâtonne, hésite. Les principales villes papoues portent toujours les stigmates des précédentes émeutes. Et la gestion de la pandémie réduite à des prescriptions de « gingembre, de citronnelle et de prières » selon certains, échaude de nombreux indonésiens. L’heure est à l’apaisement. Le verdict tombe. Les peines passent de 17 ans à 11 mois et de dix ans à dix mois. Pour les condamnés, cette clémence n’est qu’illusion car elle incarne avant tout un manquement flagrant de légalité. Sur quelle base en effet priver le peuple papou de ces droits fondamentaux (liberté d’association, de réunion, d’opinion) que garantissent les articles 28 et suivants de la Constitution indonésienne ? (10). A moins de considérer les Papous comme étant des citoyens de seconde zone ; ce que semble valider la peine infligée par la Cour militaire, juridiction d’exception, au gradé Fajar. Le sergent a été condamné à 22 mois d’emprisonnement pour sa responsabilité, le 27 mai 2019, dans le meurtre de quatre papous ; la cinquième victime étant paralysée à vie.

Mort à la Loi d’Autonomie Spéciale © DR

Jakarta avance déjà ses nouveaux pions : elle veut prolonger jusqu’en 2041 la Loi d’Autonomie Spéciale (LAS) du 22 octobre 2001 et qui arrive à échéance en 2021.Son extension qui a divisé le territoire dès 2003 en deux provinces et multiplié par quatre (de 10 à 42) les sous-divisions administratives de ces provinces (les kabupaten ou départements/municipalités), annonce la création de nouvelles provinces. Quatre ? Six ? Huit ? La réponse est pour l’heure bien gardée. Quoi qu’il en soit cette décision sera encore prise sans concertation avec les Papous, en contradiction totale avec la LAS définie comme « un droit spécial reconnu et accordé à la province papoue pour régler et gérer, selon sa propre initiative, les intérêts de sa population dans le respect de ses aspirations et de ses droits fondamentaux ».

Pour le gouvernement indonésien cette prolifération de découpages administratifs (pemekaran) qui se conjugue avec l’arrivée de nouveaux fonctionnaires décentralisés est un antidote au séparatisme papou. Pour les Papous, c’est une source de rivalités accrues qui bouscule les rapports de pouvoir entre groupes ethniques (plus de 270 groupes selon les critères ethnolinguistiques) ou structures lignagères au sein de ces groupes. Chacun tentant de s’approprier – les formes les plus courantes de leadership étant en Papouasie déterminés par les systèmes héréditaires de chefferie ou obtenus à force de mérite des « big men » – ces postes clefs (gouverneurs locaux) auxquels sont attachés les transferts fiscaux alloués par l’Etat central. Une manne financière d’autant plus disputée que les gouvernements locaux (selon l’article 4 de la LAS) n’ont aucun pouvoir en matière de relations internationales, de défense, de sécurité, de justice, de politique monétaire et budgétaire.

Mais si la LAS impose de redistribuer plus largement aux papous les revenus issus des ressources naturelles exploitées sur leur terre (14) – cette redistribution sert le plus souvent des développements économiques qui desservent les premiers concernés. À l’image de l’un des plus ambitieux programmes agraires jamais lancés, le Merauke Food and Energy Estate (MIFEE) initié depuis août 2010 par l’ancien président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono (2004-2014). Développé dans la région de Merauke (province de Papouasie) ce projet est censé assurer la sécurité alimentaire des populations locales. Sur 930 000 hectares défrichés, près de 93% des terres sont exploités pour produire de la pâte à papier (594 000 ha) ou de l’huile de palme (266 000 ha). Les 70 000 ha restant, étant, quant à eux, dédiés à des cultures dites vivrières, comme le riz, en lieu et place du palmier sagoutier dont la moelle, le sagou, composait jusqu’à ces dernières années la base essentielle de leur nutrition quotidienne. La céréale chassant peu à peu l’arbre nourricier, impactant écosystème et modes de vie traditionnels (cueillette et chasse) en osmose avec ce dernier, la survie des papous tient désormais à leur soumission: avoir un salaire pour se nourrir ; se faire embaucher – et toujours à vils prix –par ceux-là mêmes qui les ont spoliés en transformant leur terre nourricière en ces cultures d’exportation (huile de palme, pâturages, commerce de grumes…) qui les affament et les privent, à défaut de terre, de sépulture pour inhumer leur morts (voir l’article : In the shadow of the palm, Dispersed Ontologies among Marind, West Papua, Sophie Chao, 2018)

En cette fin d’année 2020 les Papous descendent une fois de plus dans la rue pour protester contre la loi d’Autonomie Spéciale. « Nous n’en voulons pas ! affirme J., étudiant papou de l’université Cenderawasih de Jayapura.  Mais si nous luttons pour redonner de la valeur et du mérite à tout ce qui est dénigré par le pouvoir indonésien, notre combat d’auto-affirmation ne doit pas reléguer au second plan celui de l’autodétermination. Plus que jamais nous devons obtenir un référendum d’autodétermination ; revenir sur cette indépendance qui nous a été volée en 1969 lors de cette mascarade référendaire qui a contraint, par la menace ou l’intimidation, un millier de nos aînés [sur 800 000 papous] à voter notre rattachement à Jakarta ». Et une fois encore les militaires répondent à balles réelles. Le campus de l’université de Cenderawasih est pris d’assaut. Partout c’est la répression brutale, sauvage, discrète (sans média) avec pour contrepartie l’inéluctable escalade de violences.

Yerima Zanambani assassiné le 19 septembre 2020 © DR

Le 19 septembre 2020 le populaire pasteur papou Yerimia Zanambani est lâchement assassiné, sauvagement mutilé, par l’armée dans la région d’Hitadipa (Département d’Intan Jaya). Le Conseil des Églises de Papouasie occidentale dénonce l’assassinat ; condamne fermement l’extension de la LAS qui légitime un « programme de surmilitarisation extrême » fait non pour protéger ses habitants mais pour sécuriser l’accès aux ressources naturelles (or, cuivre, gaz, grumes, huile de palme…). Sur 11 000 personnes vivant dans cette région combien d’entre elles se sont réfugiées dans la forêt depuis ce meurtre ? Le territoire est désormais occupé par les militaires qui ont réquisitionné jusqu’aux écoles pour installer leur quartier général. « Le territoire est libre à présent», commente Benny Giay, le président du Conseil des Églises de Papouasie occidentale « pour que la compagnie minière indonésienne PT Antam puisse exploiter le prometteur gisement aurifère de Wabu » (estimé à 8,6 millions d’onces soit 248 000 tonnes d’or), situé au nord du sulfureux site de Grasberg, la plus lucrative mine d’or au monde exploitée par Freeport.

Corruption, affairisme, racisme, exécutions sommaires, impunité, la Papouasie est à genoux. « Où est la justice ? Que font les Nations Unies ? » tonnent les leaders papous tandis que de nouveaux étudiants sont encore abattus, torturés à mort ces derniers jours (Mathias Suuh, Yakobus Guam, Dimisien Kobak,… Des dizaines de papous sont également arrêtés pour trahison. « Et pour des peines qui seront à coups sûrs beaucoup plus lourdes sans l’attention des média» s’inquiète un correspondant papou. « Papuans live matter ! » Oui, nous aussi nous méritons de vivre ! Mais combien d’entre nous devront être encore assassinés pour que nous le méritions enfin ? »

16 novembre 2020 © Philippe Pataud Célérier

Notes :

  1. Nettoyage ethnique en Papouasie, PPC, Le Monde Diplomatique, décembre 2019,
  2. Les papous minoritaires en Papouasie, PPC, Le Monde Diplomatique, février 2015, 
  3. The 2019 West Papua Uprising: Protests against racism and for self-determination, Veronika Koman, Tapol, 130 pages, octobre 2020.
  4. Pour plus de détails se rapporter à la note précédente.
  5. International Coalition for West Papua, « Human rights and conflict Escalation in West Papua », sixième rapport, janvier 2020. Human rights and conflict Escalation in West Papua
  6. Steeve Sweeney,   « West papua lawyers die in mysterous circumstances », Morning Star, Londres, 26 août 2020.
  7. Fédération internationale pour les droits de l’homme, « Indonesia: Ongoing impunity in the murder of Mr. Munir Said Thalib »,Refworld, Genève, 5 janvier 2009, Indonesia: Ongoing impunity in the murder of Mr. Munir Said Thalib
  8.  Louis-Marie Heuzé, « Une campagne de désinformation en Indonésie dévoilée par l’Open Source Intelligence », 7 novembre 2019,Une campagne de désinformation en Indonésie dévoilée par l’Open Source Intelligence
  9. Papua free media advocate files UN ‘blackout’ plea, targeted by hacker, Pacific Media Center, Auckland University of Technology. août 2019.
  10. Après la chute du dictateur Suharto (1998) la Constitution indonésienne de 1945 a été amendée à quatre reprises entre 1999 et 2002 afin de renforcer les libertés civiles et les droits politiques des citoyens. https://www.icnl.org/wp-content/uploads/Indonesia_Sida-Fellowship-Research-Paper-Ery-Nugroho-Indonesia-FINAL.pdf
  11. Cf.le site sur le massacre de Biak : https://www.biak-tribunal.org
  12. Alya Nurbaiti, « Stop confusing freedom of expression with treason in  Papua : activist », The Jakarta Post, 24 juin 2020, https://www.thejakartapost.com/news/2020/06/24/stop-confusing-freedom-of-expression-with-treason-in-papua-activists.html
  13. https://www.humanrightspapua.org/news/32-2020/673-case-update-military-member-sentenced-to-1-year-10-months-for-killing-four-papuans
  14. « Building Papua anew », Jakarta Post, 29 septembre 2020 https://www.thejakartapost.com/academia/2020/09/29/building-papua-anew.html

Retrouver également l’article avec des dessins du collectif Udeido sur :

La vie des Papous compte

Le Monde Diplomatique, capture d’écran, 20 novembre 2020

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