Nettoyage ethnique en Papouasie

Nettoyage ethnique en Papouasie

Une fois de plus, la Papouasie s’est enflammée. Pour son second mandat, le président indonésien Joko Widodo s’est allié aux militaires et aux conservateurs islamistes, adeptes de la méthode forte et de l’ordre moral. Victimes de multiples exactions, les Papous réclament toujours le référendum d’autodétermination dont ils ont été spoliés, en 1969, par la dictature. En attendant le peuple papou, remisé aux marges de sa propre histoire, lutte désespérément pour sa survie.

© DR / Tatan Syuflana/AP

Kami bukan Monyet ! Nous ne sommes pas des singes ! Free West Papua ! ». Pancartes brandies au-dessus des têtes, les Papous [voir la carte] crient leur colère. Hommes, femmes, enfants, affluent vers les centres villes. Poitrines et figures peintes avec les couleurs de leur drapeau, l’Étoile du Matin, blanche sur fond rouge – symboles du peuple papou prêt à verser son sang. Ces couleurs avaient été hissées pour la première fois le 1er décembre 1961. Ce jour là les Néerlandais avaient accepté que les Papous puissent lever leur drapeau aux côtés du leur. Non sans arrière-pensée. Ils savaient que la toute jeune République indonésienne qui venait de conquérir son indépendance, convoitait la Nouvelle-Guinée Occidentale (voir carte). Le dernier vestige de leur souveraineté dans ce défunt empire oriental des Indes Néerlandaises [1].

« Referendum ! Papua Merdeka !» Combien sont-ils à protester en ce mois d’août 2019 ? Plusieurs dizaines de milliers ? Une seule chose semble acquise: jamais depuis la chute du dictateur Suharto (1966-1998), on a vu défiler autant de Papous – jusqu’au cœur de Djakarta, la capitale indonésienne. Pourtant les raisons de se révolter ne leur manquent pas depuis ce 1er avril 1963 qui a vu leur territoire violemment annexé par l’Indonésie. Seules font défaut les informations qui pourraient en témoigner. La région est interdite à tous journalistes étrangers. Pour comprendre cette mobilisation d’une ampleur exceptionnelle, il faut revenir à cette date historique. Le 17 août est « Hari Merdeka » : le jour de l’indépendance. C’est en effet le 17 août 1945 que le père fondateur de la nation, Sukarno (1901-1970) proclamait l’indépendance de l’Indonésie [2]. Depuis, tous les ans au mois d’août, les couleurs blanche et rouge du drapeau national pavoisent le long de ce vaste archipel de cinq mille kilomètres de long. Dans la ville javanaise de Surabaya, la deuxième plus grande agglomération du pays, cette fête nationale ne fait pas exception. Elle va cependant prendre une tournure particulière.

Le 16 août des dizaines de personnes encerclent une résidence d’étudiants papous en proférant des injures racistes. Ceux-ci sont traités de « porc », de « chien », de « singe » qu’il faut  « Chasser ! Massacrer! » Les téléphones portables filment. Dans la foule, des policiers ainsi que différentes milices islamistes comme le Front des défenseurs de l’islam (FPI) patronné par des officiers de l’armée ou nationalistes comme les Jeunes du Pancasila. Coordinatrice de cette manifestation haineuse : une femme a fait circuler la rumeur selon laquelle des étudiants papous auraient déshonoré le drapeau national. Le drapeau est là avec sa hampe tordue. Un détail suffisant pour faire intervenir les forces de sécurité antiémeutes. Les SWAT (Special Weapon and Tactics) prennent d’assaut le dortoir à grands renforts de gaz lacrymogènes, blessant cinq étudiants. Quarante-trois étudiants sont arrêtés. Condamnés avant même d’avoir été questionnés. Les vidéos se propagent sur les réseaux sociaux très actifs en Indonésie. Quarante-huit heures plus tard et trois mille kilomètres plus à l’est de Surabaya, les Papous réagissent avec fureur.

Loin d’être une inconnue, Mme Tri Susanti, propagatrice des rumeurs, est la responsable locale du Forum de Communication des Retraités et des membres de l’armée et de la police d’Indonésie (FKPPI), une puissante milice étroitement liée aux forces militaires (son président est Ponco Sutowo, le fils d’Ibnu Sutowo (1914-2001), fondateur de la société nationale pétrolière Pertamina, et ancien bras droit économique du dictateur Suharto) . Ancienne conseillère municipale de Surabaya pour le parti Gerinda (le troisième parti politique indonésien) elle est aussi une proche de son leader M. Prabowo Subianto. Cet ancien général et gendre de Suharto, responsable d’innombrables exactions au Timor Oriental [3], perdit par deux fois les élections présidentielles contre M. Joko Widodo [4]. Quand enfin Mme Susanti est convoquée par la police, elle déclare n’avoir fait que reprendre cette rumeur dont elle dit tout ignorer [5].

La probabilité que cette profanation de symbole eût pu résulter d’une manipulation était une piste sérieuse. À condition d’enquêter sur une éventuelle collusion entre policiers, miliciens et politiques. Les étudiants papous, eux, sont libérés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Mais le mal est fait. Les principales villes de Nouvelle-Guinée Occidentale sont à feu et à sang : Le parlement régional de Manokwari est détruit; l’aéroport et la prison de Sorong sont incendiés. À Fakfak, l’Étoile du Matin est hissée en lieu et place du drapeau indonésien. L’image est forte. Pour toute réponse, six mille soldats supplémentaires sont dépêchés dans les deux provinces papoues qui comptabilisent déjà près d’un policier pour cent personnes. L’escalade de violence est inévitable. On dénombre déjà près d’une vingtaine de victimes. [6]

« Ces émeutes portent surtout un coup d’arrêt à la politique qu’ambitionnait de développer Joko Widodo à grands renforts d’investissements économiques et d’ouverture politique souligne I.P. journaliste indonésien basé à Jakarta. Avec la libération de prisonniers politiques, la possibilité pour les Papous d’obtenir une autonomie renforcée, beaucoup jugeait sa politique trop laxiste. Widodo est par ailleurs l’une des premières personnalités politiques de premier plan à ne pas être issu du sérail militaire ». Outre ces adversaires directs comme M. Subianto et ses alliés islamo-conservateurs, toujours prompts à soutenir ce qui pourrait déstabiliser l’actuel président, au sein même du gouvernement, nombreux sont ceux à se féliciter du chaos. À l’instar du ministre coordinateur des affaires politiques, judiciaires et sécuritaires (2016-2019), le général Wiranto, ancien ministre de la défense et de la sécurité et commandant des forces armées (1998-1999) responsables de multiple violations des droits de l’homme commises au Timor oriental en 1999 ou en Papouasie (massacre de Biak, 1998); ou le ministre de la défense M. Ryamizard Ryacudu (2014 à 2019), qui louait en 2001 l’assassinat de Theys Eluay, l’un des leaders papous historiques.

Je ne suis pas un singe © DR.

Les militaires savent que le chaos est le plus sûr garant de ce retour à l’ordre martial qu’ils désirent ardemment. C’est d’ailleurs en partie pour atténuer leur influence et pour convertir un ennemi potentiel en allié providentiel [7]– que M. Widodo choisissait en 2019 pour futur vice-président M. Ma’ruf Amin. Chantre d’un islam moralisateur et intolérant il était jusqu’à ses nouvelles responsabilités à la tête du Nahdlatul Ulama (Renaissance des Oulémas)) une organisation islamique qui compte quarante millions de sympathisants. De quoi rassurer les électeurs sensibles aux thèses fondamentalistes et dissuader ceux qui auraient pu se tourner vers un islamisme d’opposition. Pour son second mandat, Widodo bisse sa stratégie. Renouvelant son équipe gouvernementale, il prend le 23 octobre 2019 comme ministre de la défense son pire ennemi: le puissant et très contesté Prabowo Subianto. Un pari audacieux, mais jugé inévitable pour le chercheur australien Damien Kingsbury (Université de Melbourne) : « Widodo reste trop vulnérable face aux islamistes, aux militaires et au DPR (Dewan Perwakilan Rakyat), la chambre basse du parlement indonésien ».

Cette audace lui permet une fois encore d’élargir son assise politique (Subianto avait obtenu 44,5% des voix pour l’élection présidentielle du 17 avril 2019) tout en poursuivant ses réformes sans craindre d’être contesté ou de voir l’unité nationale du pays plus divisée encore; alors même qu’elle est déjà secouée par de multiples projets de loi jugés liberticides : qu’ils aient pour objet d’affaiblir l’agence de lutte contre la corruption (KPK), de durcir le code pénal en matière de morale sexuelle ou d’étendre plus largement la loi sur le blasphème. Une orientation que voudrait infléchir de nombreux fanatiques comme en témoigne la tentative d’assassinat sur la personne du général Wiranto le 13 octobre 2019.

 Seul sujet éminemment consensuel : la Papouasie. Ses habitants, noirs de peau, christianisés et pouvant porter encore l’étui pénien sont une menace autant pour la morale religieuse que l’unité et l’économie du pays. Un danger qu’islamistes et militaires vont copieusement médiatiser après l’assassinat, le 1er décembre 2018, de 17 ouvriers non papous travaillant à la construction de l’axe routier Trans-Papouasie, dans le district de Nduga [8] – le projet phare du président Widodo qui relie Sorong à Merauke, deux villes distantes de 4 330 kilomètres de long.

l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale © TPNPB

Ces meurtres d’une ampleur sans précédent sont revendiqués par Legakek Tallengeng commandant de l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale (TPNPB), l’aile militaire de l’Organisation de la Papouasie libre (OPM). Par ailleurs la pétition lancée par Benny Wenda, responsable du MULPO (Mouvement unifié pour la Libération de la Papouasie Occidentale regroupant plusieurs organisations séparatistes) et secrètement relayée sur le terrain par le Comité National pour la Papouasie Occidentale (KNPB), la principale organisation papoue pour un referendum, est un nouveau camouflet pour les autorités indonésiennes. Cette pétition qui a circulé de village en village pendant plusieurs mois au nez et à la barbe des militaires et policiers a recueilli 1,8 million de signatures (sur une population totale de 4,5 millions environ). Les signatures étaient remises, début 2019, à Mme Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

Une fois de plus, les Papous réclament un référendum d’autodétermination, à rebours du simulacre référendaire organisé 50 ans plus tôt aux seules fins d’être assujettis à l’Indonésie. Cette mascarade avait été concoctée en pleine guerre froide par les États-Unis qui redoutaient que le pays, chef de file des pays non alignés, ne bascule du côté des Soviétiques. Pour satisfaire Djakarta, les Américains obligeaient les Pays-Bas (par l’Accord de New-York du 15 août 1962) à transférer à l’Indonésie leur souveraineté sur la Nouvelle-Guinée Occidentale, le 1er mai 1963. (Une obligation imposée en totale contradiction avec l’esprit de la Charte des Nations-Unies de 1945 qui entendait tout mettre en œuvre pour que les territoires non-autonomes – la Nouvelle-Guinée en faisait partie – puissent recouvrer leur indépendance). En contrepartie Djakarta s’engageait à garantir à la population papoue la mise en place d’un référendum d’autodétermination dans les six années suivant le transfert. Six ans de terreur et de répression (30 000 victimes) au terme desquels un millier de Papous (sur 800 000 environ) allait voter leur intégration. Le 19 novembre 1969 les Nations Unies entérinaient la chose.

« Vous voyez ! ouvert de tous les côtés – caricature néerlandaise

Sans doute avaient elles préféré troquer le droit à l’autodétermination du peuple papou contre une issue politique beaucoup plus stable –  voire lucrative pour les intérêts américains. Le sous-sol papou regorge de richesses qui n’échappèrent pas, dès la fin des années 1950, à la sagacité du géant minier américain Freeport Sulphur (Freeport-McMoRan aujourd’hui). Le président Sukarno étant assez rétif aux puissances d’argent, son numéro deux, l’ambitieux et très influent général Suharto, cristallisa rapidement les espoirs des parties intéressées. Appuyé par les Américains et la CIA,  le coup d’état du 30 septembre 1965 lui permettait de renverser Sukarno tout en massacrant entre 500 000 et 2 millions de communistes (ou supposés tels). Dès avril 1967, le général accordait à Freeport Sulphur le droit de prospecter à coups d’investissements colossaux ces fabuleux gisements cuprifères et aurifères des mines Ertsberg (dès 1973) puis Grasberg (1988) aux profits toujours inégalés à ce jour [9]. Si le problème communiste ne se posait plus en 1969 l’incertitude du référendum aurait pu dissuader le géant minier d’investir dans la région.

« Referendum ! » réclament les Papous malgré la répression qui s’accentue. Internet est bloqué. Les têtes des principales organisations papoues sont arrêtées comme Agus Kossay, responsable du KNPB ; Buchtar Tabuni, président du Parlement National de la Papouasie Occidentale (PNWP) et membre du comité exécutif du MULPO. Les journalistes indonésiens sont surveillés ; les défenseurs des droits humains emprisonnés comme M. Surya Anta et dont l’état de santé est très préoccupant ou à défaut poursuivis. Mte Veronica Koman, avocate, menacée de mort dans son pays, doit se réfugier en Australie ; accusée d’avoir propagé des informations mensongères ayant encouragé les émeutes. [10]. Pour M. Victor Yeimo, porte-parole du KNPB, « les gens descendent dans la rue parce qu’ils n’acceptent plus d’être colonisés, marginalisés ; considérés au mieux comme des citoyens de seconde zone ; au pire comme des sous-hommes, des animaux ! »

Dès les années 1960, Subandrio le ministre indonésien des Affaires Étrangères (1957-1966) répétait à qui voulait l’entendre que l’un des objectifs essentiels de son gouvernement serait de faire descendre les papous des arbres. Quitte « à les tirer pour les amener en bas [11] ». « La Papouasie est l’un des trous noirs de l’Indonésie dans le domaine des droits de l’homme. C’est la région où les forces de sécurité ont pendant des années été autorisées à tuer des femmes, des hommes, des enfants sans craindre d’encourir la moindre responsabilité » déclarait le 2 juillet 2018, Usman Hamid, directeur exécutif d’Amnesty International Indonésie. « Si l’on ne compte plus le nombre de victimes [entre 300 000 et 500 000 papous depuis 1963 selon les sources], les responsables condamnés  tiennent sur les doigts d’une main ! précise A.G. journaliste papou qui souhaite rester anonyme et d’ajouter : Filep Karma a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour avoir brandi le drapeau papou. Ceux qui ont participé au massacre de Biak [12], mutilés, violés des dizaines de femmes et d’enfants n’ont jamais été jugés ». Mais comment pourraient-ils l’être ? Leur responsable n’était-il pas le général Wiranto, le ministre coordinateur des affaires politiques, judiciaires et sécuritaires du président Widodo lors de son premier quinquennat ?

Source tapol https://www.tapol.org/

Suite à l’exécution des 17 ouvriers du 1er décembre 2018, les militaires transformaient nombre de villages en torches. À coups de bombes au phosphore blanc, précisait l’hebdomadaire australien The Saturday Paper [13]. « Un an a passé. Qui s’en soucie ? » interpelle un militant d’une Organisation non gouvernementale. Sur les 100 000 Papous qui vivaient dans la province de Nduga, 45 000 ont été forcés de quitter leur région ; 5000 seraient toujours en train d’errer dans les terres hostiles et froides des hauts plateaux. Au total ces opérations militaires auraient fait 243 victimes dont 110 enfants de décembre 2018 jusqu’au 2 février 2020 (voir tableau ci-dessus). Si la majorité des Papous a succombé au froid, à la famine, aux épidémies, certains ont été assassinés comme en attestent les corps exhumés de cinq femmes et enfants. Pour Samuel Tabuni, Directeur de l’Institut de langue papoue basé à Jayapura : « ce n’est ni plus ni moins un nettoyage ethnique ». [14] . Ce dont pourraient attester les différents documents administratifs indonésiens diabolisant sous les traits d’animaux les papous. Une forme de racialisation qui dénie à l’autre toute altérité (Les Papous étant appelés singes quand ils sont vivants; rats quand ils s’enfuient dans les forêts; ordures quand ils sont enfin morts). Ces multiples exactions sont évidemment niées par les autorités indonésiennes qui n’ouvrent pas la région pour autant aux enquêteurs étrangers contrairement aux promesses qu’avait faites M. Widodo dès 2015 après sa prise de fonction présidentielle. À défaut d’ouverture politique le président promet un avenir économique.

« Développement économique ? Cette route ? Ces 13 nouveaux ports ! Les 7 nouveaux aéroports ! Un leurre! » répond N. un habitant de la province de Nduga. Ces routes servent aux compagnies sylvicoles qui dévastent nos forêts [22 millions d’hectares soit 220 000 km2 ont été classifiés comme « foret de production » soit la moitié de la Nouvelle-Guinée Occidentale. Un tiers fait déjà l’objet de concessions sylvicoles]. Puis aux multinationales agro-alimentaires qui remplacent nos cultures vivrières par des cultures d’exportation (huile de palme, élevage de bovins) qui nous font crever de faim. En 2015, personne n’avait les moyens d’arrêter l’épidémie de coqueluche qui allait tuer 51 enfants dans les hautes terres de Nduga » Et que dire de cette épidémie de diarrhée, de rougeole qui emporta 93 personnes dans la province de Deiyai. Les deux tiers des victimes avaient moins de 3 ans. Les dernières vaccinations avaient eu lieu il y avait plus de 4 ans et les postes de santé étaient fermés depuis plusieurs années. Idem pour la province de Yahukimo située dans les hautes terres centrales. Une quarantaine de personnes succombèrent là encore de pneumonie, de tuberculose….

« De ce développement nous n’en voulons pas !  Oui la mine de Grasberg est prospère. Chaque jour elle nous donne plus de 200 000 tonnes de minerais (80 millions de tonnes par an) jetés directement dans les rivières Ajkwa, Otomina, polluant l’estuaire jusqu’au large de la mer d’Arafura » poursuit N. (Sur 1,3 milliard de tonnes de minerais de cuivre exploité entre 1987 et 2014 la teneur en cuivre était 1,5% soit 19,5 millions de tonnes). Cette exploitation minière se fait bien sûr au détriment des populations autochtones locales (Kamoro, Amungme) empoisonnées par les déchets toxiques de la mine (catégorie B3) quand elles n’ont pas été expropriées, déplacées sans réelles indemnités compensatrices sur des basses terres impaludées. Les Papous perdent non seulement leur sécurité alimentaire (poissons, crabes, crevettes, sagou) – une alimentation de base dénigrée par les Indonésiens qui lui préfèrent le riz – mais aussi les liens spirituels qui étaient attachés à la terre nourricière de leurs ancêtres. Timika «ville western» de la côte sud de la Papouasie (province de Mimika) distante de 125 km environ de la mine sise à 4270 mètres au-dessus de la mer (une route qui est actuellement gardée par 3 000 militaires) est l’une des villes papoues les plus rongées par le VIH. Il est vrai que les prostituées qui y furent un temps dépêchées en provenance de tout l’archipel étaient rigoureusement recrutées par les militaires. Leur critère ? Que ces femmes qui tourneront autour du géant minier (12 000 salariés permanents, 24 000 contractuels) soient porteuses du virus. Mission accomplie : le VIH ayant dans les deux provinces papoues un taux de prévalence (2,4%) six fois plus élevé que dans le reste de l’archipel (0,4%).

Mine de Grasberg : 2,4 km de diamètre, 800 m de profondeur,200 000 tonnes de déchets miniers sont rejetés quotidiennement dans les eaux des fleuves Ajkwa et Otomina © DR

« Comment accepter ce développement économique qui se fait sans nous ! Vus les enjeux économiques, ce sera très dur d’obtenir un référendum d’autodétermination, poursuit un militant papou. Et ce sera probablement encore plus difficile depuis le 12 juillet 2018. Au terme d’un nouvel accord cadre conclu avec Freeport-McMoran et Rio Tinto, le gouvernement indonésien est devenu depuis cette date l’actionnaire majoritaire (avec 51% des parts) de la société PT Freeport Indonesia  exploitant cette mine. Nouvel objectif affiché par le gouvernement : améliorer sa rentabilité ! Deux milliards de dollars de profits sont prévus pour 2021. L’entreprise, l’un des plus importants contribuables, aurait rapporté au gouvernement indonésien plus de 16 milliards de dollars (impôts, taxes, dividendes) entre 1992 et 2015 à l’aune de ces millions de tonnes d’or et de cuivre engendrées par l’exploitation des deux mines. L’activité de Grasberg est quant à elle prorogée jusqu’en 2041. Les réserves encore exploitables seraient estimées à 18 millions de tonnes de cuivre et 1 430 tonnes d’or.

« Mais quelle alternative avons nous ? Si nous résistons nous sommes tués. Si nous n’agissons pas nous sommes condamnés à disparaître ! Regardez les rapports des ONG ! Le nombre d’exactions, d’exécutions extrajudiciaires que la population papoue subit quotidiennement ! ». Les chiffres sont en effet vertigineux . Entre 2012 et 2016, 9282 Papous étaient arrêtés, 848 étaient victimes de tortures et de mauvais traitement. Quant aux derniers chiffres concernant l’année 2019, ils font état de 41 exécutions extrajudiciaires; de 133 actes de tortures ou de mauvais traitements; de 755 arrestations arbitraires; de 610 arrestations politiques (22 ont été inculpés de «trahison» (makar) au titre des articles 106 et 110 du Code pénal) et plus de 7000 personnes déplacées suite aux opérations militaires indonésiennes.

Le 23 septembre 2019, une nouvelle émeute embrasait Wamena, la grande ville des hautes terres centrales. Là encore un professeur aurait traité un élève de singe. Selon les autorités, 33 personnes, 25 étant des migrants de Sumatra ou des Célèbes, auraient trouvé la mort dans des circonstances toujours non élucidées à ce jour (82 blessés). Et les voix sont nombreuses à s’interroger sur l’origine de ces émeutiers qu’aucun habitant de Wamena n’a reconnu.  

En attendant près de 8 000 Papous et non papous ont fui Wamena. Les premiers redoutant la répression de l’armée indonésienne ; les seconds la radicalisation de certains papous. « Nous n’avons rien contre les migrants répond Jeffrey Bomanak, responsable de l’OPM. Notre ennemi c’est la police et l’armé. Mais beaucoup de nouveaux migrants arrivent, directement ou indirectement manipulés par le gouvernement indonésien afin de provoquer des conflits intercommunautaires. » Nombre d’entre eux appartiennent à des milices nationalistes et islamistes qui patrouillent en faisant régner la terreur. Une situation qui n’est pas sans rappeler ces groupes extrémistes qui avaient infiltré le Timor Oriental en distillant jour après jour le pernicieux venin de la guerre civile.

Philippe Pataud Célérier, Le Monde Diplomatique, décembre 2019.


Notes :

  • [1] Romain Bertrand, L’Histoire à parts égales, Seuil,  Paris, 2011.
  • 2] « Vers la disparition des peuples Papous en Indonésie », Le Monde diplomatique, février 2010.
  • [3] Gerry van Klinken,  « Prabowo and Human Rights », Inside Indonesia, Melbourne, avril/juin 2014.
  • [4] Rémy Madinier, « L’Indonésie choisit la démocratie », Le Monde diplomatique, juin 2019.
  • [5] « Rally leader named suspect of racially abusing Papuan students », Jakarta Post, 19 août 2019.
  • [6] http://humanrightspapua.org/news/31-2019/496-human-rights-update-west-papua-3rd-quarter-2019.
  • [7] Lire Marie Beyer et Martine Bulard, « Menaces sur l’islam à l’indonésienne », Le Monde diplomatique, août 2017. «Jokowi Offers Prabowo a Piece of the Pie », Aaron Connelly, Evan A. Laksmana, 31October 2019. https://www.thejakartapost.com/news/2019/10/15/22-terrorist-suspects-held-following-wiranto-stabbing-incident.html
  • [8] Richard Chauvel, « Indonesian infrastructure isn’t quelling desire for independence in Papua », The Strategist, 18 décembre 2018.
  • [9] Grasberg représente la plus grande mine d’or et la seconde mine de cuivre au monde. https://theinsiderstories.com/freeport-get-permit-to-export-300000-tons-of-copper/
  • [10] Benjamin Strick, « Twitter Analysis : Identifying a Pro Indonesian propaganda bot network », Bellingat, 3 septembre 2019, bellingat.com
  • [11] Robin Osborne, Indonesia’s Secret War. The Guerilla Struggle in Irian Jaya. Allen & Unwin, Melbourne, Londres, 1985.
  • [12]  Entre le 4 et le 6 juillet 1998, la police a ouvert le feu. Lire sur le site The Biak massacre. Citizens tribunal, http://www.biak-tribunal.org
  • [13] John Martinkus, « Exclusive ; chemical weapons dropped on Papua », The Saturday paper, Canberra, 22 décembre 2018.
  • [14] Lettre ouverte adressée au Secrétaire Général des Nations-Unies par Samuel Tabuni, 11 octobre 2019.

Dernier article : La vie des Papous compte, novembre 2020, Le Monde Diplomatique, blog Asie.

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