Daech, le cinéma et la mort
« J’ai voulu comprendre ce qu’il arrive au cinéma que j’ai connu enfant ». Ce cinéma, c’est celui auquel se livre l’organisation islamique Daech. Cinéma ? « Toutes sortes d’images enregistrées, cadrées et montrées » précise Jean-Louis Comolli, enseignant, écrivain, ancien Rédacteur en chef des Cahiers du cinéma (1966 à 1971). Des images d’une violence inouïe, exhibées dans toutes leurs obscénités. Filmer et tuer, tuer pour filmer. Une première ? Les nazis masquaient leurs crimes de masse rappelle le réalisateur. Daech, lui, exploite toutes les techniques du numérique pour que tout soit immédiatement visible et vu aux quatre coins du globe.Tel est l’apport de Daech à la cinématographie générale.
Industrialiser non pas le processus meurtrier mais la multiplication des images qui vont en témoigner. Les clips macabres s’enchaînent ainsi avec une efficacité de spots publicitaires renforcée par l’ubiquité inhérente au numérique. La propagande utilise les mêmes ressorts que la publicité. Ce qui en dit long sur ses sources d’inspiration. Avec ces techniques éprouvées comme celle du gros plan qui dépossède le spectateur de sa liberté de recadrer, condamné à ne voir le meurtre que d’une seule manière « comme il n’y a qu’une façon de croire en Dieu pour Daech ». Sapant ainsi jusqu’aux fondements intimes du cinéma.
Ce cinéma qui triomphait de la mort, qui redonnait vie à des êtres disparus (pouvoir quasi résurrectionnel de l’image) place le spectateur face à la victime et son bourreau, condamné au même point de vue que la caméra. Voyeur… mais impuissant. La haine de l’autre dans la haine de soi.
Jean-Louis Comolli, éditions Verdier, 128 pages, 13,50 €
Philippe Pataud Célérier
Le Monde Diplomatique, novembre 2016.