Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada
Si le terme de féminicide (contraction de female et de homicide) nous est peu familier, il qualifie dans la langue anglaise le meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe. Cet acte qui puise ses racines dans le sexisme, la misogynie, l’inégalité des femmes, se répand, ces dernières décennies, comme une pandémie au Canada. Depuis 1980, près de 1200 Amérindiennes canadiennes ont été assassinées ou sont portées disparues. Pour saisir la gravité du phénomène, précise, dans la préface, Widia Larivière, initiatrice québécoise du mouvement Idle No More (voir Au Canada, la fin de la résignation pour les peuples autochtones), il faut rappeler «que proportionnellement, [ces] 1181 femmes autochtones représentent environ 30 000 femmes canadiennes ou 55 000 femmes françaises ». Une tragédie nationale d’autant plus stupéfiante que le gouvernement canadien refuse toute enquête nationale. Emmanuelle Walter part donc sur les pas de Maisy Odjick et de Shannon Alexander. Deux jeunes femmes autochtones, de l’ouest québécois, portées disparues en septembre 2008. Elle rencontre leurs proches, écoute leurs témoignages, et peu à peu nous immerge avec tact et subtilité dans cette réalité autochtone ignorée par la majorité des Canadiens. Une ombre accompagne bientôt toutes ces pistes : celle de la grande vulnérabilité des femmes autochtones. Qu’elles vivent à l’intérieure ou en dehors de la réserve, elles troquent bien souvent violence et pauvreté communautaire contre la solitude, les préjudices et la misère urbaine. Car ces maux puisent à la même source: l’histoire coloniale que le Canada continue à enterrer avec sa cohorte d’ignominies : loi sur les Indiens, spoliations foncières, patriarcat religieux, enfants arrachés à leurs parents, pensionnats autochtones, viols, maltraitances, … Non les jeunes femmes autochtones n’ont pas, comme se dédouane souvent la police, des conduites à risques (toxicomanie, errances, prostitutions…). Elles prennent seulement le risque de vivre là où la société canadienne les condamne à survivre.