Le cinéma chinois indépendant en quête de spectateurs

Le cinéma chinois indépendant en quête de spectateurs

Montrer ce qui est généralement passé sous silence par les médias officiels caractérise en grande partie le travail des cinéastes indépendants qu’ils soient documentariste ou réalisateurs de fictions. Mais à l’ère des blockbusters qui envahissent désormais la production chinoise, les films d’auteur sont menacés moins par la censure que par leur invisibilité.

Peu importe que les souris soient grises © www.philippepataudcélérier.com

Ce cinéma indépendant qui, de son financement jusqu’à sa distribution, se développe en marge de tous circuits officiels, se définit, selon les mots du cinéaste Jia Zhangke comme « un ensemble de préoccupations difficilement intégrables dans un grand récit national ou politique » (1). Qu’on en juge. A la biennale du très stimulant festival Three Shadows (2) la dernière fictiondu cinéaste Zhang Ming (1961), The Bride (2008)dénonce le pouvoir délétère de l’argent dans la société chinoise actuelle. Quatre amis entendent marier l’un d’entre eux avec une femme qu’ils feront disparaître dès qu’elle aura souscrit à une confortable police d’assurance. Le documentariste Sichuanais Chen Zhong (1969), dévoile dans Red White (2009) les conséquences du tremblement de terre qui a dévasté le Sichuanen mai 2008.

Au centre du film, un temple taoïste partiellement détruit devient le lieu de recueillement mais aussi de récrimination des habitants abandonnés par les autorités. Pétitions, la Cour des plaignants (2008) remarquable film de Zhao Liang (1971), dévoile la vie au quotidien des pétitionnaires venus de toute la Chine pour porter plainte à Pékin contre les abus et les injustices qu’ils ont subies de la part des autorités locales. Le film dresse un inventaire terrifiant de tous les laissés pour compte du miracle économique chinois. « Jusqu’à la Sixième génération de cinéastes qui émerge au début des années 1990, précise Zhang Ming,  les films étaient réalisés au sein d’organismes étatiques par des cinéastes agréés par l’Etat. En dehors de ce circuit, personne n’était autorisé à tourner de film. Depuis la réforme économique, des fonds privés ont pu investir le cinéma d’Etat, donnant plus de liberté au contenu du film. »

Shanghaï, Suzhou He © ppc

Pour être moins visible, la censure fait surtout preuve de pragmatisme. Avec l’arrivée du numérique et la révolution qu’il induit en terme de pratique (caméra DV haute définition, maniable, discrète, peu chère et de qualité professionnelle), le comité central de censure du Bureau du cinéma, sous le contrôle duquel étaient tournés les longs-métrages avant les années 2000, est aujourd’hui dans l’incapacité de visionner l’ensemble des films indépendants réalisés chaque année. D’une dizaine dans les années 1990 ils sont plus d’un millier aujourd’hui. Si les films peuvent désormais se faire techniquement, indépendamment du fait qu’ils aient ou non obtenu l’autorisation du Bureau, ils sont plus sûr d’exister avec elle, économiquement parlant s’entend. Car sans agrément, le film ne peut bénéficier ni du financement d’un studio d’État, ni de la distribution au sein du réseau national des salles de cinéma. Il n’a pas non plus accès aux chaines de télévision. Sans diffusion, peu d’audience et sans audience, impossible pour le producteur d’entrevoir un quelconque retour sur investissement.

Cinéma des marges sociales, politiques, économiques, géographiques…, les films indépendants sont donc condamnés aux projections confidentielles, aux cercles d’initiés (clubs de cinéma, universités, festivals dédiés aux documentaires (comme le Yunfest de Kunming) ou au cinéma indépendant (comme les festivals de Beijing, de Nanjing ou de Chongqing) ; autant d’événements qui, s’ils ne risquent pas d’ébranler le pouvoir central, poussent les cinéastes sur la voie éreintante et risquée de l’autofinancement. Chen Zhong réalise des publicités pour financer ses films. Zhang Ming a pioché dans ses économies et celle de ses amis pour boucler les 30 000 euros de sa fiction. L’INA (Institut national de l’audiovisuel) a assuré toute la post production du documentaire de Zhao Liang. « PétitionsLa Cour des plaignants a été faite en étroite collaboration avec l’Ina. Sur plus de 500 h de rush, nous avons travaillé ensemble pour sélectionner et monter trois heures de film » précise Sylvie Blum, cheville ouvrière de ce documentaire majeur. Le cinéaste peut donc aussi se tourner vers des producteurs étrangers et connaître une carrière assez médiatisée. Pétition a ainsi été présenté dans la sélection Hors compétition du festival de Cannes en 2009. « Vous pouvez faire tout le bruit que vous voulez à condition que son écho soit très faible en Chine » déclare un réalisateur souhaitant garder l’anonymat. Zhao Liang s’était d’ailleurs opposé à la sortie de son film en DVD (3). S’il craignait d’être piraté, ce n’était pas son manque à gagner qu’il redoutait mais l’écho grandissant d’un bouche à oreille qui aurait irrité la censure et menacé à terme son travail.

Paysage chinois, environs de Shanghai, mars 2016 © www.philippepataudcélérier.com

Plus inquiétant que la censure, souligne la majorité des cinéastes, c’est l’absence de public alors même que la Chine s’apprête à devenir en 2011, juste après les Etats-Unis, le deuxième pays au monde en nombre de salles. Des salles destinées en fait à diffuser des blockbusters, ces films commerciaux dotés d’une puissance de distraction suffisamment aseptisée pour séduire un marché planétaire. Quand des blockbusters chinois (de plus en plus nombreux) ou étrangers sortent en Chine, ils occupent huit salles dans un multiplexe de dix salles ! Huit salles vont donc projeter le même film, avec des variantes : en HD, en 35 mm, en V.O. sous-titrée, en version doublée, … Tandis que les autres films se feront oublier, faute de diffusion et de public. « Aujourd’hui, il est très difficile d’intéresser la génération de ceux nés en 1980. Le spectateur chinois veut s’échapper de sa réalité quotidienne, s’identifier à des personnages qui le font fantasmer et qu’on ne trouve guère dans mes fictions documentaires, observe Zhang Ming. La question est de savoir s’il est encore possible d’attirer les jeunes vers un cinéma qui les pousse à voir non pas la Chine de leurs rêves mais l’envers du décor du nouveau rêve chinois.  Bref à voir la Chine dans sa réalité sans redouter la censure : non celle qui nous empêche mais  celle qui nous distrait, qui « noie la vérité dans un océan d’insignifiance » rappelait Aldous Huxley dans Le Meilleurs des mondes (4).

Philippe Pataud Célérier, Le Monde Diplomatique, 2010

Notes :

  • (1)    Le cinéma indépendant chinois : Filmer dans « l’espace du peuple », Perspectives chinoise, CEFC, Hong Kong, N°1, 2010, www.cefc.com.hk 
  • (2) Festival Shadows 2010www.arsinica.net/shadows (3) Zhao Liang,
  • (3) films documentaires, Pétition, la cour des plaignants, Crime et châtiment, Paper Airplane, INA, 2010. 
  • (4) Lire :  Se distraire à en mourir de Neil Postman, Pluriel, 2010.

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