Ai Weiwei : Never Sorry
Artiste dissident, activiste polyvalent, Ai Weiwei est au coeur de ces pratiques numériques qui sont en train de reconfigurer une nouvelle extension du domaine de la lutte… contre la censure étatique. « Il n’y a que deux sortes de gouvernements dans le monde, twittait Weiwei : le gouvernement démocratique, qui côtoie la critique, et le gouvernement totalitaire, qui côtoie sa propre fin. » @aiww.
Observations et méthodes. Deux scènes du film résument à elles seules l’esprit d’Ai Weiwei. La première séquence démarre dans son atelier pékinois au 258 Fake. (Fake veut d’ailleurs dire truquage en anglais). Sous le regard faussement débonnaire d’Ai Weiwei la caméra s’attarde sur un chat. Stature volumétrique et nonchalance de lettré, l’artiste fait part de ses observations.« Nous avons plein de chiens et de chats mais parmi les quarante chats un seul sait ouvrir une porte. D’où vient cette intelligence ? Tous les chats pourtant nous voient ouvrir la porte. Mais la différence entre le chat et l’homme, c’est que le chat qui ouvre la porte ne la refermera jamais derrière lui. » Et surtout, surtout, pas avant qu’elle ne soit ouverte… serait-on tenté d’ajouter face à ces régimes totalitaires qui transforment toutes réflexions en réflexes d’autocensure.
La seconde séquence montre 45 mn plus tard un assistant d’Ai Weiwei filmant le policier en train de filmer l’artiste dévorant une tête de porc dans un restaurant de rue sichuanais. « Ils ont leur caméra et nous avons la nôtre mais leurs images ne seront jamais montrées au public ; les nôtres si ! ». Un combat presque inégal fait remarquer l’artiste. Et on le croirait volontiers si la représentation du réel n’était pas déboutée par la réalité. À l’image de cette scène : les policiers débarquent en pleine nuit dans la chambre d’hôtel d’Ai Weiwei avant de défoncer la porte et son crâne. (Ai Weiwei enquêtait alors, suite à un terrible séisme, sur ces milliers d’écoliers retrouvés sous les gravats d’écoles mal construites mais source d’enrichissement pour les autorités locales).
Un sévère traumatisme qui nécessita une intervention chirurgicale ; mais une réalité cette fois transformée en fiction par les commissariats de police ; aucun ne voulant enregistrer la plainte d’Ai Weiwei. Délit de police, déni de justice souffle le dicton populaire… En deux séquences tout ou presque est dit : pour contourner la censure jamais les outils n’ont été aussi nombreux et efficaces. L’ubiquité est à portée d’octets.
Liberté d’expression muselée, Ai Weiwei crée son blog. Blog censuré, il resurgit avec Twitter, téléphone portable en main, l’œil au viseur. Informateur, journaliste, photographe, documentariste,… un octet tombe un autre se relève. L’information circule dans le monde entier. Difficile de refermer la porte. À l’ère du net, l’homme, le citoyen chinois, n’est-il pas en train de ressembler de plus en plus à un chat ; ce (t)chat… qui oblige la police chinoise à repenser sa censure. En toute ingratitude… Ai Weiwei : Never sorry.
Philippe Pataud Célérier, 5 décembre 2012
Merci à Barbara Letellier Haut et Court).
Notes :
- Ai Weiwei : Never Sorry, Film documentaire américain d’Alison Klayman avec Ai Weiwei, Chen Danging, Changwei Gu (1 h 31). Distribué par : www.hautetcourt.com
- Reporters sans Frontières et Ai Weiwei dévoilent ce que Pékin veut cacher : 100 photos pour la liberté de la presse (110 000 exemplaires) est publié trois fois par an. L’intégralité des ventes finance les actions de Reporters sans frontières.