Art contemporain chinois : industrie et subversion ?

Art contemporain chinois : industrie et subversion ?

« En vérité disait Mao, l’art pour l’art, cet art qui plane au-dessus des classes, qui se situe en retrait de la politique ou qui demeure indépendant d’elle, n’existe pas (…). Ce que nous réclamons, c’est l’unité de l’art et de la politique, l’unité de la forme et du contenu ». 

La production artistique est alors au service de l’État. La politique d’ouverture et de réforme des années 80, bouleverse la société chinoise. L’industrie est en pleine restructuration. On produit moins collectivement qu’on ne cherche à dépenser individuellement. L’égalitarisme forcené cède le pas au consumérisme discriminant. La demande dirige l’offre. La publicité prend le relais de la propagande. La concurrence se nourrit de différences. La mercatique oriente le pouvoir d’achat qui commande désormais le statut social. L’art peut-il être encore « national dans sa forme, démocratique dans son contenu ». Les artistes s’interrogent. « Le marxisme c’est la conscience du social écrivait Malraux; la culture, la conscience du psychologique. » Mais entre crise existentielle et identitaire, de l’individu à la société, la marge de création des artistes est d’autant plus forte que son cadre d’expression est étroit : des libertés politiques restrictives aux débouchés économiques rares en Chine populaire, qu’il s’agisse d’acheteurs individuels démunis ou d’institutions muséales étatiques conservatrices. Il faut donc produire pour exporter hors de ses frontières, séduire tout en se défiant d’une occidentalisation extrême de son art.

He Han, Fifteen Reasons for Fashion, 2001

Les sujets ne manquent pas. Ils sont traités avec réalisme et beaucoup de technique. Peu d’abstraction dans la peinture chinoise, héritage du réalisme socialiste. Omniprésent, le thème de l’individualisation qui marque la société chinoise actuelle. Dans ce nouveau matérialisme, l’homme découvre son individualité, la crainte de sa solitude, le réconfort aussi de son individualisme dénoncé par les artistes (Ils ont en moyenne entre trente et quarante ans). « Je est un autre ! » affirme le peintre Zeng Fanzhi. Mais qui est qui ? s’interroge Wei Guangqing. On questionne ce nouveau « moi » égotique, presque obscène, après des années de privation, étalé  à grands renforts de biens de consommation. Le peintre Xi Nanxing exécute son autoportrait en train de trôner sur des toilettes. Paradoxalement chez Chen Wenbo l’individualisation de la société révèle non pas ce qui est individuel mais ce qui ne peut plus être individué, divisible. Métaphore de cette mutation du corps social, celle de notre corps physique : les corps sont froids, roses, jaunes ou bleus. Des monochromes traversés de pupilles aussi bleues que des ecchymoses.

© Chen Wenbo / www.shanghartgallery.com © Photo Philippe Pataud Célérier / Galerie Shanghart

Des regards comme des coups portés à ces figures mutantes qui n’ont ni cheveux, ni rides, ni mémoire. Peau lisse, étale, synthétique sans aspérité. Des corps androgynes et androïdes,  reproductibles à l’infini, par le seul fait d’être sans sexe, sans race, sans classe. D’être sans différences, nouvelle condition de notre reproduction mais pour craindre plus encore d’exister demain avec nos ressemblances ? La désacralisation du corps collectif passe aussi par l’exploration de soi, la découverte de son corps, sujet et objet. Sujet d’exhibition : l’anatomie est mise en valeur : Objet d’exploration : les performances d’artistes sont légions. Certains n’hésitent pas à se mutiler, à fouiller leur corps jusqu’à planter de part et d’autres de leur échine des carrés de verdure plus drus que du gazon. La douleur…. Mutilation des corps. Procédé mnémotechnique pour mieux marquer dans sa chair la mutation des villes ? La destruction systématique des vieux quartiers. Ou plus simplement provoquer ?

Sun Yuan Honey © DR

Zhu Yu propose des conserves de cervelles humaines. Peng yu, un rideau de 34 mètres carré formé de centaines de petits animaux vivants embrochés pour rappeler les usages en cours sur les marchés chinois. Sans frigidaire, la chair souffrante se conserve mieux. Sun Yuan compose sur un lit de glace, la tête d’un vieillard décapité à côté d’un fœtus d’enfant…. L’imagination la plus déroutante pour se faire remarquer. Un moyen d’expression réprouvé par la morale Occidentale mais qu’elle va interpréter à l’aune de son système de valeurs comme un acte subversif à l’égard des autorités chinoises. Il n’en est rien. Morale et politique ne sauraient se confondre tant que leurs ressorts ne nuisent pas aux intérêts du Parti. Les artistes chinois le savent et ils savent tout autant que d’autres que la provocation se vend mieux ; plus encore quand on lui attribue plus de défi qu’elle n’a.

Shanghai, publicité et propagande © www.philippepataudcélérier.com

Pour d’autres, l’art est déjà une industrie. Mais les pouvoirs d’achat sont à l’étranger. On indexe sa création sur les canons consuméristes de l’exportation. Zhou Tiehai triomphe auprès des marchands en déléguant à d’autres le soin de produire en série ses toiles à coups d’aérographe et d’occidentalisation culturelle. La création est en cours. Après avoir singé l’art occidental, on se le réapproprie, on le détourne de son sens, on s’en moque.« Le savoir chinois comme base, le savoir occidental comme moyen » énonçait déjà un gouverneur de province à la fin du XIXème siècle dernier.

Philippe Pataud Célérier, 2003

Paru dans Manière de voir, 2003 © Le Monde Diplomatique / www.philippepataudcélérier.com

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