Waswo X Waswo : d’un regard à l’autre

Waswo X Waswo : d’un regard à l’autre

Sous le regard du photographe surgit celui que les modèles portent sur eux-mêmes. C’est toute la magie du studio que de mettre en scène le réel avec ceux qui lui donnent corps sans toujours le réaliser.

Courtesy of Waswo X Waswo

Chiman hésite. Ce qu’on lui demande de reproduire et qu’il fait naturellement lui pose aujourd’hui problème. Non que ses réflexes aient fondu comme neige au soleil en entrant dans la lumière artificielle du studio. Mais troquer les ghâts d’Udaipur (Rajasthan), même si Fritz Lang y tourna quelques scènes du Tigre de Bengale, contre un décor peint n’est pas chose aisée. Moins encore s’il s’agit de mettre en scène, sous l’œil d’un photographe, une simple douche comme on en prend quotidiennement dans tout le pays et dans cet état du nord ouest de l’Inde.

« Choisir pour modèle un Indien nu est difficile. Hors de son contexte le sujet en est réduit à sa stricte nudité synonyme pour beaucoup d’exhibitionnisme ou de pornographie. Le Rajasthan est l’un des états indiens les plus conservateurs, explique le photographe Waswo X Waswo, étrangenom en miroir qui se réfléchit comme un autoportrait. « Mon sujet n’est pas la nudité mais son contexte dont elle est indissociable au même titre que la gestuelle du personnage, les accessoires, la cruche, l’eau qui tombe. Ce sont eux qui permettent de mettre en scène un moment de vie pris au réel »  Chiman a levé la cruche, l’eau cascade sur son épaule. L’instant paraît d’autant plus réel que le décor peint semble des plus factices.

Depuis trois ans, le photographe invite régulièrement dans son studio les personnes qu’il croise au grès des rencontres et des circonstances : passants, voisins, amis, amis d’amis. Au total, plus d’une centaine de personnes ont posé dans son studio. Si la toile de fond est toujours exécutée par des artistes, son décor tranche avec ceux que l’on observe dans la plupart des studios populaires du sous-continent. La petite classe moyenne vient y chercher généralement un décorum baroque et grandiloquent, taillé pour les désirs les plus fous. Et le temps d’un déclic on est souvent en bonne compagnie. Ainsi peut-on prendre par l’épaule une célèbre actrice de Bollywood en carton-pâte, marcher au pied d’un vertigineux gratte-ciel où survoler en avion le Taj Mahal sous l’œil d’Indra, le roi des Dieux. Pour chacun la même évasion : devenir ce que l’on a rêvé d’être en épousant le décor de ses rêves. La reproduction vaut autant que sa représentation. Preuve à l’appui estampillée sur papier glacé.

© Waswo X Waswo

Chez WXW, les modèles semblent prendre la réalité pour leurs désirs. Il suffit de contempler ses décors peints : sobres, sans ostentations, dépouillés de tout luxe. La scène semble bien ordinaire. « En fait ils sont leur propre rôle, explique WXW. Le fermier, le charretier font ce qu’ils sont dans la vie quotidienne. Ils viennent avec leurs accessoires. Ces personnages sont de véritables documentations, des témoignages de métiers, de cultures traditionnelles vivant encore en Inde » Si le personnage est bien dans sa réalité, il est aussi dans celle du photographe, poète et miniaturiste par ailleurs avec la complicité de R. Vijay. « En les mettant en scène par le biais d’une simple toile peinte fidèle à leur environnement quotidien c’est tout autant ce qu’ils sont que l’idée qu’ils s’en font qui m’intéresse, la manière dont ils se voient, la façon dont ils jouent leur propre rôle ».

Si l’on regarde à nouveau Chiman en train de faire ses ablutions, il ne le fait pas sans certaines afféteries. « Parce que Chiman est également artiste dans la vie,précise Patrick Guicherd, galeriste de Waswo basé à Pondichéry.En fait, WXW photographie surtout le regard que les personnages portent sur eux-mêmes et la manière dont ils se voient parle aussi de ces regards que la société porte sur eux et sur elle-même.

Ainsi aux côtés de ceux qui posent devant des rêves souvent intimidants, il y a ceux que WXW photographie au cœur de leur réalité. Les premiers deviennent un temps ce qu’ils ne sont pas tandis que les seconds, face à l’objectif qui soudain s’intéresse à eux, prennent conscience de ce qu’ils sont. Ils se mettent non pas à vivre mais à exister. Ils deviennent tout simplement ce qu’ils sont.

Philippe Pataud Célérier

Pour en savoir plus : 

Waswo X Waswo : Né aux Etats-Unis en 1953, Waswo a très vite renoué avec cette culture indienne transmise par son père décédé à Goa. Après une formation à l’institut photographique de Milwaukee (Wisconsin) complété par le centre de photographie contemporaine de Florence, il s’installe à Udaipur au Rajasthan. Ses photographies publiées dans la presse internationale font aussi l’objet d’expositions muséographiques (Haggerty Museum of Art du Wisconsin). 2006 marque l’aboutissement de son premier livre : India Poems: The PhotographsGallerie Publishers, 2006 ; double recueil de poésies et de photographies consacrées à l’Inde dont le touché sépia des images n’est pas sans évoquer l’inventaire photographique de l’américain Edward S. Curtis lorsqu’il portait un regard anthropologique sur les Indiens d’Amérique. Après sa série A Studio in Rajasthan, son travail actuel, les nouveaux mythes, combine photographies et vidéo.

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