Yao lu, tromper l’œil pour mieux saisir l’esprit

Yao lu, tromper l’œil pour mieux saisir l’esprit

Yao lu progresse en illusionniste. Ses photographies sont des trompe-l’œil destinés non pas à fertiliser notre imaginaire avec des artifices de perspective mais à nous alerter. A nous alerter sur quoi ? Sur l’illusion de la beauté ? la fragilité de la nature ? Sur la mutation radicale de nos paysages ? Sur les périls écologiques qui pointent à notre horizon ? Peut-être tout ça à la fois. Une chose est sûre. Les déchets, les rebuts sont à la composition paysagère de Yao Lu ce qu’étaient fruits et légumes aux portraits d’Arcimboldo. Avec peut-être cette même idée sous-jacente : tout est leurre à l’exception de ce qui est périssable.

© Yao Lu / 798 Photo Gallery

Chez Yao Lu l’œil est espiègle, il n’aime pas les vérités premières, celles qui, par manque d’ombre, ont beaucoup de mal à faire vivoter la lumière. Aussi, lorsque le visiteur admire l’une de ses photographies, tout ébaubi par la tradition paysagère et millénaire qui s’en dégage, Yao Lu guette immanquablement ses réactions. Et celles-ci tardent souvent à venir. « Mes photographies sont souvent lues par un regard conditionné non par ce qu’il voit mais par ce qu’il sait déjà. Et ce qu’il sait, est généralement ce qu’on lui fait entendre depuis qu’on lui donne à voir » s’amuse Yao lu ; à savoir cette Chine éternelle identifiable à ses lointains cours d’eau, ses monts sacrés nappés de brumes indécises où percent quelques pins froids. « Après oui je m’amuse bien, les réactions sont très contrastées. Certains rejettent aussitôt l’image, d’autres prennent alors un œil d’entomologiste ».
Yao Lu, étudiant au départ spécialisé dans l’estampe, a eu l’occasion d’exercer son œil sur cette idéalisation paysagère. Aussi n’entend t-il pas forcément déroger à ce style naturaliste déjà en vogue sous les Tang (618-907). Yao lu sait qu’un strict réalisme est au cœur de la tradition picturale chinoise et que plus les ressemblances sont fortes avec la nature plus l’artiste est réputé talentueux. Il sait aussi que la part d’imaginaire de l’artiste porte surtout ce réalisme et que la représentation détaillée ne vaut que par l’interprétation suggestive de l’auteur. « Apprendre de la nature mais peindre l’image avec son esprit » soufflait le peintre Zhang Zao (dynastie Tang). C’est cette tradition que reprend Yao Lu mais pour mieux en jouer, la détourner au profit moins de l’œil du spectateur que de son esprit, de sa conscience.

© YAO LU / 798 Photo Gallery

Car si ses sujets annexent encore montagnes et rivières serties dans une vue brumeuse, ce n’est qu’une apparence qui se laisse confondre à mesure que l’œil se rapproche de la matière. La rêverie qui commençait à emporter l’œil se dégonfle soudain comme une baudruche. Quelques accrocs affleurent à la surface de ces paysages idylliques. Yao lu jubile. L’œil n’a plus qu’à tirer les fils, « détricoter cet imaginaire poétique pour retrouver une réalité plus conforme à la société qui nous environne». L’expression « détricoter » est d’autant plus juste qu’un filet vert recouvre intégralement ces monts. « Ces monts sont en fait des tas de sables, des tas de gravats que les ouvriers emmaillotent dans des filets verts de protection afin d’éviter qu’ils ne se dispersent sous l’action des vents. Ce projet, j’y réfléchissais depuis de nombreuses années. Il a bien sûr une dimension artistique qui me tient à cœur mais pas seulement. Le statut de ce qui est laid ou beau doit à chaque fois être reconsidéré à l’aune de notre environnement social, culturel mais aussi environnemental. » Ces paysages traditionnels sont aujourd’hui composés à partir de nos rebuts, de ce que rejettent et décomposent nos sociétés de consommation. Juste retour des choses ? Combien de paysages naturels ont été recyclés en décharges ? Combien de décharges, parfois radioactives ont été métamorphosés en paysages naturels ?

« Aujourd’hui tout se recycle. Pourquoi ce qui nous envahit ne pourrait-il pas se transformer en espace d’évasion ? Les gens s’échappent en observant mes photographies, remontent à ce temps idyllique, puis une fois décryptés leur contenu, reviennent au temps présent, à nos préoccupations premières, conscient des périls écologiques qui pèsent sur notre environnement. Que faire de nos rebuts, de ce que nous excavons pour construire, embellir une ville, assistons-nous à une mutation radicale de notre environnement ? Peut-être aussi de notre regard ? » Pourra-ton demain s’émerveiller devant une décharge sauvage comme on le fait aujourd’hui face à un paysage urbain domestiqué ? En tout cas ces décharges recyclées en paysages traditionnels permettent de ne pas évincer la question une fois pris aux rets de ces filets verts sous lesquels sommeillent aussi des produits dangereux. « Pourquoi ces filets verts ? Pour mieux se fondre dans nos banlieues urbaines ? En tout cas ils nous rappellent que tout ce qui est vert n’est pas forcément écologique. »

Philippe Pataud Célérier

 Pour en savoir plus :

2008 : année de consécration de Yao Lu Lancé en 2004 pour soutenir la création photographique contemporaine, le Prix BMW a été décerné lors de Paris Photo (13-16 novembre 2008) à l’artiste chinois Yao Lu pour son œuvre Yao Lu’s New landscape part I – Ancient Spring Time Fey, 2006 qui répondait au thème : « Toujours en mouvement, jamais immobile »). Réservé aux photographes exposés par les galeries participant à Paris Photo, l’un des meilleurs salons consacrés à la photographie, ce prix doté d’une somme de 12 000 € a été versée à l’artiste pour le soutenir dans la réalisation d’un nouveau projet. Yao lu est représenté par la galerie pékinoise : 798 Photo Gallery 

2Commentaires

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  • Jeannette
    03/11/2012

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