Trajectoires indiennes

Trajectoires indiennes

Les toutes premières migrations humaines vers le continent américain (nord, central et sud) s’effectuèrent par vagues successives, autour de 12 000 ans av. J.-C.,  ce que prouve aujourd’hui l’archéologie, lorsque des peuples venues d’Asie (Sibérie) franchirent le détroit de Béring alors émergé (d’autres voies migratoires sont aussi étudiées).

100 av./100 apr. J.-C. Terre à pipe en argile, Comté de Ross (Ohio). © ppc
100 av./100 apr. J.-C. Terre à pipe en argile, Comté de Ross (Ohio). © Quai Branly /  PPC

Elles se dispersèrent dans le nord du Yukon, atteignirent la Colombie britannique, l’Ontario vers 10 000  av.  J.-C. pour arriver en Amérique du Sud (Mexique), tout en développant peu à peu des modes de vie adaptés à leur milieu. Ainsi se formèrent différents groupes sédentaires ou nomades que les premiers Européens, se croyant parvenus aux Indes, baptisèrent « Indiens ». Animistes, ces peuples croyaient en une nature habitée par des esprits qu’ils vénéraient. Pour Jean Malaurie, anthropo-géographe et écrivain, tous les peuples qui sont passés par le détroit de Béring ont été marqués par le Yi-Jing et le pré taoïsme (lire L’Allée des baleines, 2008). «Sagesse qui est vécue au rythme de la musique de la terre en Chine, qu’on appelle le Qin, et qui chez les Inuit rappelle le battement du tambour sacré lors des séances de transes».

First nations of British Colombia
First nations of British Colombia

En bordure de la côte du Pacifique, les populations autochtones de la côte nord-ouest (descendants des populations qui habitaient l’Amérique à l’arrivée des premiers Européens aux 16e et 17e. s.) étaient de loin les groupes démographiques les plus denses avant l’arrivée des blancs. Favorisées par les ressources de leur milieu naturel, entre océan et forêts humides, elles développèrent une culture matérielle particulièrement sophistiquée à l’instar de ces célèbres mâts sculptés dits totémiques qui arpentent toujours leur territoire. Leurs coutumes, en particulier celle du potlatch ont interpellé et interpellent encore des générations d’intellectuels, chercheurs et écrivains (Boas, Maus, Bataille, Lévi-Strauss, Debord…).

Canada, Colombie britannique, Campbell, île de Vancouver,  2013 © PPC
Canada, Colombie britannique, Campbell, île de Vancouver, 2013 © PPC

Uniquement en Colombie britannique (côte ouest du Canada), on estime qu’il y a environ deux cent First Nations ou collectivités des Premières Nations. Depuis 1970, on utilise les termes Premières Nations ou collectivités des Premières Nations en lieu et place des termes  «bande indiennes». Les Premières nations qui vivent généralement sur des terres appelées « réserves» englobent tous les Autochtones du Canada qui ne sont pas Inuits ou Métis. On compte actuellement environ 617 collectivités des Premières Nations, qui représentent selon La Commission royale sur les peuples autochtones entre 60 et 80 nations autochtones (vaste groupement d’Autochtones partageant une identité nationale et culturelle comme les Cree ou les Algonquins par exemple).Ces collectivités sont historiquement divisés en dix nations : (Haïda, Tsimshian, Kwakiutl, Nootka, Coast Salish de la côte, Salish de l’intérieur, Bella Coola, Athapaskan, Tlingit de l’intérieur).

Les tribus des Plaines du début du 19 e s. jusqu'aux années 1850  © musée du quai Branly : Wilmotte & Associés et e/n/tdesign
Les tribus des Plaines du début du 19 e s. jusqu’aux années 1850 © musée du quai Branly : Wilmotte & Associés et e/n/tdesign

Les tribus des plaines  Les vastes étendues herbeuses du Canada central, entre le bouclier canadien et les Rocheuses, étaient le domaine des groupes autochtones des Plaines. Ces groupes semi-nomades occupaient ces vastes plaines qui s’étendent des provinces canadiennes du Saskatchewan jusqu’au Texas, et du bassin du Mississippi jusqu’aux montagnes rocheuses. Au nord de cette frontière qui sépare le Canada et les États-Unis se trouvent les Stoney, Sarsi, Pieds-Noirs (Blackfeet du Nord), Cree des plaines, Blood, Assiniboine, Ojibwa des plaines ). Semi-sédentaires, les belliqueuses tribus des forêts de l’Est (Algonquins et Iroquois) vivaient dans des villages fortifiés, cultivant le maïs, le haricot et la courge, et connaissaient une organisation sociale complexe.

Horseback, Arapaho, Oklahoma (vers 1880) Graphite et crayons de couleur sur papier © Quai Branly / photo PPC
Horseback, Arapaho, Oklahoma (vers 1880) Graphite et crayons de couleur sur papier © Quai Branly / photo PPC

Au sud (partie américaine) les Crow, les Sioux, les Cheyennes pour les plaines centrales, les Kiowa, les Commanches, les Apaches pour les plaines du sud.  Ces groupes tiraient principalement leurs ressources des troupeaux de bisons qu’ils chassaient. La viande, séchée, pouvait être conservée et consommée durant les longs mois d’hiver. La plupart habitaient dans des tipis et portaient des vêtements en peau tannée, couverte de décors picturaux comme sur cette image. Un détail provenant d’une robe retraçant les hauts faits historiques de deux grands guerriers Lakotas (Plaines centrales). Ou comment montrer qu’on a eu la peau de son ennemi en la portant sur son dos…

Plaine centrale, peau tannée, pigments, piquants de porc-épic (extrait) © quai Branly, photo PPC
Plaine centrale, peau tannée, pigments, piquants de porc-épic (extrait) © Quai Branly, photo PPC

Ce n’est qu’avec l’introduction du cheval par les Espagnols à la fin du 17e siècle – les conquistadors espagnols explorent les territoires situés au nord du Rio Grande (l’actuel Nouveau Mexique dès 1540 – que le nomadisme se généralise. La culture des Plaines basée sur la chasse au bison à cheval se développe. Au fil des contacts et des échanges le cheval se répand progressivement dans les plaines du nord engendrant de nouvelles pratiques culturales et culturelles.  Le cheval fait désormais partie intégrante des guerres que se livrent les Indiens des Plaines. La culture équestre est au cœur d’un art florissant dans la première partie du 19e siècle. Ces guerres inter tribales se multiplient à mesure que les territoires se réduisent sous la pression des colons qui font route vers l’ouest. Dès 1848, l’or de la Californie attire un flux d’immigrants dont l’implantation s’intensifie après la guerre de Sécession (1860-1865). L’armée américaine protège désormais les colons. L’exploration de l’Ouest peut encore s’intensifier. La conquête de l’ouest fait des ravages. Les Indiens repoussés des Plaines de l’Est entrent en conflit avec ceux des Plaines du Nord et de l’Ouest. Densité démographique et ressources naturelles disponibles n’étant plus en adéquation.

Dessin réalisé par Thomas Stone Man, un policier Dakota ayant particpé à l'arrestation de Sitting Bull (vers 1920) © quai Branly / photo PPC
Dessin réalisé par Thomas Stone Man, un policier Dakota ayant particpé à l’arrestation de Sitting Bull (vers 1920) © Quai Branly / photo PPC

Les régions subarctiques Les populations autochtones des régions subarctiques situées d’est en ouest sous l‘Arctique (Béothuks, Crees, Dene-thah, Dunne-za, Kaska, Montagnais) étaient également des nomades et des chasseurs, notamment de caribous. Quant aux Inuit peuple autochtone de l’Arctique nord-américain chasseurs pêcheurs nomades hier, sédentarisés aujourd’hui, ils étaient environ 50 000 à se déclarer Inuit lors du recensement canadien de 2006. La majorité d’entre eux vivent dans cette immense région qui s’étend au nord du Canada, du détroit de Béring à l’est du Groenland et est connue sous le nom d’Inuit Nunaat, la « patrie inuite» en inuktitut. Le Nunavut «notre pays» en Inuit, (formé en 1999) est la plus grande de ces quatre régions (2 millions de km2 soit 1/5 du Canada) qui configurent la « patrie inuite». « inuit » signifiant d’ailleurs «les gens ». Le terme « Esquimau » ou mangeurs de viande crue» dans la langue des Indiens Algonkins étant aujourd’hui obsolète. Soumis à des conditions climatiques extrêmement difficiles, ils vivaient dans des igloos (« maison » en Inuktitut) en hiver et dans des tentes de peau ou des huttes de tourbe en été. La chasse au phoque, au morse, à la baleine et au caribou assurait leur subsistance. Ils se déplaçaient lorsque les réserves de gibier se faisaient rares Aujourd’hui les peuples du Grand Nord sont pris dans les rets d’une modernité étourdissante qui sappe leurs traditions séculaires avec sa cohorte de maux inconnus jusqu’à lors (alcoolisme, suicide, violence, délinquance surtout parmi les jeunes). Un danger d’autant plus fort que l’Arctique selon les mots de Jean Malaurie «va être un espace de millionnaires, il y a du pétrole, il y a du gaz, il y a des minerais partout. L’Arctique, c’est en fait l’Arabie Saoudite de demain». Sans parler du recul de la banquise qui accroît le trafic maritime par l’Arctique.

© Philippe Pataud Célérier

Notes :

Les images ont été prises au Quai Branly lors de l’exposition Indiens des plaines (8 avril-20 juillet 2014). L’exposition rassemblait un ensemble de 133 objets et œuvres d’art reprenant, dans leur continuité, les traditions esthétiques qui du 16ème au 20ème siècle, ont rayonné sur les provinces canadiennes de la Saskatchewan jusqu’au Texas et du bassin du Mississippi jusqu’aux Montagnes Rocheuses. Voir la critique de Philippe Bourgoin, fondateur de la revue Tribal Art.

Catalogue : Skira coédite avec le musée du quai Branly un livre sur l’art amérindien à l’occasion de l’exposition « Indiens des Plaines » (8 avril – 20 juillet 2014)  coproduite avec deux  institutions américaines, le Metropolitan Museum of Art de New York et le musée Nelson-Atkins de Kansas City. Des récits des premiers explorateurs blancs sur les « Peaux Rouges » aux films tels que Danse avec les loups de Kevin Costner ou le récent Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) d’Arnaud Desplechin, la culture indienne de la région des Plaines ne cesse de fasciner. Riche d’une foisonnante mythologie, celle-ci a su perdurer malgré les guerres et les épidémies engendrées par les incursions européennes et américaines, la vie dans les réserves, les politiques d’éducation forcée et les stratégies d’acculturation. L’objectif des éditions Skira dans la réalisation de ce livre est de faire rayonner la force et la continuité de l’expression artistique de ces peuples des Plaines – avec ses formes qui émergent, se poursuivent, évoluent, disparaissent puis renaissent – au gré d’incessantes transformations culturelles.

Catalogue sous la direction de Gaylord Torrence, Fred and Virginia Merill Senior Curator of American Indian Art, Nelson-Atkins Museum of Arts (Kansas City) et professeur émérite à la Drake University. Coédition Skira/musée du quai Branly, 2014, 47 €.

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