SOS Papouasie 1963, 2013, 2016…2019 : 1er décembre

SOS Papouasie 1963, 2013, 2016…2019 : 1er décembre

Annexée par l’Indonésie en 1963, la Papouasie Occidentale est le théâtre depuis plus de 50 ans d’une répression sanglante à l’encontre des peuples papous. Oubliés de tous, ces peuples sont-ils condamnés à disparaître ?

Joseph Beuys, Fondation du doute, Blois, © ppc
Joseph Beuys, Fondation du doute, Blois, © www.philippepataudcélérier.com

Ce 1er décembre 2012, comme chaque 1er décembre, les Papous manifestent par milliers. Les plus téméraires brandissent le drapeau de l’indépendance papoue, cette étoile blanche sur fond rouge frangée de bandes bleues et blanches. Filep Karma, ancien fonctionnaire de l’Éducation Nationale, purge une peine de 15 ans d’emprisonnement pour avoir hissé ce drapeau un 1er décembre 2004. Depuis 50 ans, les Papous réclament l’indépendance. Ils revendiquent ce droit à l’autodétermination promu par l’ancienne puissance coloniale néerlandaise avant d’être confisqué dans le sang par la jeune nation indonésienne et entériné par l’ONU en 1969 à la suite d’un référendum truqué. L’archipel troquait son statut de colonisé contre celui de colonisateur à l’égard du peuple papou.

A compter du 1er décembre 1961, l’administration coloniale néerlandaise a accepté que le drapeau papou soit hissé aux côtés du drapeau néerlandais. Deux ans plus tard la Papouasie était annexée par les Indonésiens.
A compter du 1er décembre 1961, l’administration coloniale néerlandaise a accepté que le drapeau papou soit hissé aux côtés du drapeau néerlandais. Deux ans plus tard la Papouasie était annexée par les Indonésiens.

Comme chaque 1er décembre, les forces de sécurité indonésiennes sont aussi au rendez-vous, patrouillant, armes au poing. Sorong, Nabire, Fak Fak, Manokwari, Wamena, Timika, Meraukee, combien d’émeutes dans ces villes papoues qui abritent aujourd’hui une majorité de migrants d’origine malaise ? Migrants subventionnés par l’État indonésien pour décongestionner des îles trop peuplées comme Java. Migrants spontanés qui espèrent trouver une vie meilleure sur ces terres pleines d’espoirs.

Archipel des Moluques © PPC
Migrants indonésiens dans l’archipel des Moluques © www.philippepataudcélérier.com

L’équation est en apparence attractive : la Papouasie Occidentale concentre 20 % des terres de l’archipel indonésien, 25% de ses ressources naturelles mais seulement 1% de ses 243 millions d’habitants. Tout semble d’autant plus permis sur cette terre que chaque promesse donnée aux migrants est faite au détriment de ces populations autochtones qu’on méprise au plus haut niveau de l’État : 253 groupes ethniques différents, animistes et/ou christianisés, à la peau noire et aux cheveux crépus qui échappent à ce creuset malais dans lequel s’est forgée l’identité indonésienne.

© Cécile Marin / www.monde-diplomatique.fr
© Cécile Marin / www.monde-diplomatique.fr

Ce 1er décembre 2012, combien de militants papous ont encore été arrêtés, battus, assassinés ? Nul ne le sait. La Papouasie Occidentale est loin, très loin : cela permet d’en- tendre mal les cris qu’on y pousse. Il est vrai que la région est interdite aux ONG et journalistes étrangers. Ceux qui ont encore le courage de vouloir faire la lumière sur les exactions quotidiennes commises par policiers et militaires le payent au prix fort, comme Banjir Ambarita poignardé tandis qu’il enquêtait sur des viols commis par des policiers. Quant à la liberté d’expression, elle est plus que bafouée. Mako Tabuni, leader indépendantiste et vice-président du Comité national de Papouasie Occidentale (KNPB), l’un des trois grands mouvements politiques papous (1) luttant pour l’indépendance, a été abattu le 14 juin 2012. Paul Horik, responsable local du KNPB à Sorong, a été assassiné lui aussi le 4 novembre dernier (voir Des peuples papous en sursis, août 2014). Que dire de toutes ces répressions policières et militaires qui trouvent leur légitimité dans les émeutes qu’elles ont provoquées. Rappelons les violences qui ont ensanglanté le rassemblement pacifique du 19 octobre 2011 d’Abepura (faubourg de Jayapura). Le troisième « Congrès du Peuple de Papouasie » était interrompu par un bain de sang : six morts, 300 personnes arrêtées, 51 sauvagement torturées parmi lesquelles les six leaders papous toujours emprisonnés, comme Forkorus Yaboisembut, proclamé lors du congrès président de la République fédérale de Papouasie Occidentale. Et combien de régions dévastées par l’armée pour avoir hébergé des indépendantistes papous ?

Dani © PPC
Peuples Dani, région de Wamena © www.philippepataudcélérier.com

Dans la province de Paniai, région située dans les Hauts-Plateaux du centre-ouest de la Papouasie, 27 villages ont été rasés, incendiés, mitraillés par hélicoptères en décembre 2011. Plus de vingt mille personnes ont été expropriées d’une centaine de villages, livrées à la famine, au froid, aux maladies. Assassinats, tortures, viols, humiliations, discriminations, déni de justice, les abus perpétrés en Papouasie indonésienne sont un mode de gouvernance. Une banalité quotidienne à peine médiatisée par la presse alors que les rapports d’ONG de défense des droits de l’homme dénoncent, année après année, l’histoire implacable d’un génocide annoncé. Les Églises se mobilisent espérant encore éviter toute radicalisation du conflit. « La Papouasie est devenue une terre d’oppression, un lieu de traumatisme collectif où règnent le deuil et le sang » déclarait le 27 juin dernier lors d’une conférence de presse à Djakarta, le Révérend Benny Giay, président du Synode des Églises chrétiennes de Papouasie. Le Révérend Socrates Yoman, président de l’Alliance des Églises baptistes de Papouasie, l’une des plus importantes communautés chrétiennes du pays, faisait lui le tour des différentes ambassades étrangères pour convaincre la communauté internationale d’intervenir dans cette tragédie qui aurait déjà coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de papous depuis l’annexion indonésienne (1963). Pourquoi la communauté internationale reste sourde ?

Yogyakarta, Java © PPC
Java, ville de Yogyakarta © www.philippepataudcélérier.com

L’Indonésie, première nation musulmane en terme démographique, est pour nombre de pays dont les États-Unis un allié de poids face à l’influence grandissante de la Chine en Asie du Sud-Est. Elle tient aussi sur un plan religieux des positions modérées très appréciées des Occidentaux. Américains et Australiens forment même les unités d’élite indonésiennes anti-terroristes, comme le détachement 88 créé juste après les attentats islamistes de Bali en 2002. Ce même détachement 88 pourchasse aujourd’hui les indépendantistes papous et sème la mort dans les régions les plus reculées. La Papouasie regorge de ressources naturelles : or, cuivre, uranium, nickel, huile, gaz naturel, forêt. La compagnie minière Freeport-McMoRan, lobbyiste de premier plan aux États-Unis dans la course à la Maison Blanche, reste de loin le plus grand investisseur étranger en Indonésie ; c’est aussi le plus contesté pour ses méthodes d’exploitations des plus gros gisements d’or et de cuivre au monde. Son activité très lucrative – elle pousse d’ailleurs différentes unités militaro policières à une lutte fratricide pour obtenir les juteux contrats de sécurité – n’a été rendue possible que par le déplacement forcé de la population locale, les Amungme. Ceux qui résistaient étaient assassinés. Les autres abandonnaient leurs hautes terres froides de la région de Tembagapura pour vivre dans les marécages côtiers des basses terres impaludées de Timika. Une hécatombe renforcée par un désastre écologique. En rejetant chaque jour plusieurs centaines de milliers de tonnes de boue de métaux lourds formant par endroits une couche épaisse de 15 mètres de hauteur, la mine a empoisonné les principaux cours d’eau. Un écocide, dit-on, qui gangrène désormais une superficie presque aussi grande que la Belgique.

Hautes terres papoues © PPC
Papouasie Occidentale, Hautes terres papoues © www.philippepataudcélérier.com

Sur les 42 millions d’hectares de forêts tropicales que compte la Papouasie, un quart de la surface sylvestre de l’Indonésie, plus de la moitié a été jugée exploitable par Djakarta. Quelques neuf millions d’hectares supplémentaires ont par ailleurs été alloués au développement agricole, c’est-à-dire l’exploitation du palmier à huile qui a déjà dévasté les îles de Sumatra et de Kalimantan. Parmi les plus importants programmes en cours, le MIFEE (Merauke Integrated Food and Energy Estate) développé dans la province méridionale de Merauke. Près d’une quarantaine d’investisseurs privés et publics indonésiens, japonais, singapouriens, coréens ou du Moyen-Orient, ont déjà obtenu des concessions pour mettre en coupe 1,28 million d’hectares – 2,5 millions d’hectares en 2014 (à comparer aux 2 millions d’ha de surfaces agricoles ayant disparu depuis 30 ans en France -. Cette déforestation à grande échelle destinée à nourrir la planète va affamer les populations locales puisqu’en lieu et place de leur ressources naturelles et vivrières – essentiellement le palmier sagoutier – vont être produites des cultures d’exportation comme le bois, le maïs, les pousses de soja, la canne à sucre et l’élevage intensif de bétail pour alimenter les fast food australiens… Il ne restera plus à ces populations qu’à trouver un emploi, si celui-ci n’est toutefois pas préempté par les transmigrants indonésiens, généralement privilégiés par les sociétés indonésiennes. Plus de 500 000 migrants seraient attendus pour ce projet alors même que le kabupaten(département) de Merauke ne compte pas plus de 80 000 papous sur une population totale d’environ 250 000 personnes. De toutes ces richesses, la majorité des Papous est exclue. Le niveau de pauvreté est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Ils sont marginalisés ethniquement : les Papous représentent aujourd’hui 49 % d’une population totale de 2,5 millions d’habitants mais n’en représenteront plus que 29 % d’ici 2020. Ils le sont aussi socialement : le VIH/SIDA, entre quinze et quarante fois supérieur à la moyenne nationale selon les régions, se répand d’autant plus facilement que l’armée, grande pourvoyeuse de prostituées, est peu scrupuleuse sur leur état de santé.

Hautes terres papoues © PPC
Hautes terres papoues © www.philippepataudcélérier.com

Les populations papoues sont vouées à disparaître si la communauté internationale ne réagit pas. Il est urgent qu’elle se mobilise ; qu’elle mette en place ce droit à l’autodétermination qu’exigent les Papous avant qu’ils n’aient disparu. Pour cela il faut que ce génocide soit médiatisé. La Papouasie occidentale mériterait-elle moins d’attention que le Tibet ? Faut-il attendre que des Papous s’immolent ou se ceinturent la taille avec des pains d’explosifs au cœur de Djakarta ou devant l’ambassade indonésienne de Paris ? Décerner à Filep Karma ou à Benny Wenda le prix Nobel de la paix, voilà qui pourrait être une première prise de conscience et un nouveau pas pour que le dialogue entre Djakarta et la Papouasie initié et promu par les Papous ne reste pas lettre morte.

Texte et photos © Philippe Pataud Célérier 

Paru dans le Courrier de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’Abolition de la Torture), janvier/février 2013.

Notes :

(1) Le West Papua National Authority (WPNA)  fondé par Edison Waromi, Jacob Rumbiak et Herman Wanggai rebaptisé Negara Federal après octobre 2011 est dirigé par Forkorus Yaboisembut. Le West Papua National Coalition for Liberation (WPNCL)  a pour secrétaire général Rex Rumakiek à défaut de président. Richard Hans Yoweni venant de décéder tout comme son vice président John Otto Ondawame décédé en 2014. Le Parlemen Nasional West Papua (PNWP) dirigé par Buchtar Tabuni de Wamena (Baliem) s’appuie sur le Komite Nasional Papua Barat (KNPB), mouvement politique visant à mobiliser la population; fondé en 2008 et dirigé depuis 2012 par Victor Yeimo, natif de Nabire. Ces trois mouvements se sont réunis fin 2014 au sein du tout récent Mulpo (Mouvement unifié pour la libération de la Papouasie Occidentale).

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Lire aussi : La Papouasie Occidentale dans Le Monde Diplomatique.

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