Dans les eaux de Yang Yi

Dans les eaux de Yang Yi

© Yang Yi / Galerie Paris/Beijing

Yang Yi est originaire de Kaixian, petite ville de quelques 80 000 habitants construite sur un affluent du Yangtsé. Kaixian, (province de Chongqing) se situe en amont de la plus grande réalisation hydraulique au monde : le barrage des Trois-Gorges commencé en 1993 sur le troisième plus long fleuve du monde. L’ouvrage aux proportions gigantesques, 2 309 mètres de long sur 185 mètres de haut, devrait tourner à plein régime courant 2009 pour satisfaire à lui seul 10 % des besoins en électricité de la population chinoise. Encore faut-il pour actionner les 26 turbines de la centrale hydroélectrique (25 mètres de diamètre chacune), retenir une quarantaine de milliards de mètres cubes d’eau. Un réservoir de 660km de long sur 1,1 km de large a donc été créé. Sa montée en eau submerge progressivement une quantité de terres astronomiques en amont du barrage (on parle d’une superficie supérieure à celle de la Suisse). D’ores et déjà 1500 agglomérations et villages ont été engloutis sous les eaux portant entre 1,3 et 1,9 million de personnes (selon les sources), le nombre d’habitants ayant dû être déplacés à l’extérieur du bassin de rétention. Mais le niveau d’eau ne s’arrête pas là. Il est prévu pour atteindre la hauteur maximale tolérée par le barrage : 175 mètres au-dessus du niveau de la mer. Et parmi les dernières zones condamnées à être englouties figure le district de Kaixian (1,47 million d’habitants) et en son cœur sa vieille ville, patinée par 1800 ans d’histoire.

© Yang Yi / Galerie Paris/Beijing

Quand Yang Yi apprend la mort programmée de sa ville, il vit à Chengdu où il étudie la photographie à l’Académie des Beaux Arts. Appareil photo en main, il décide de retourner dans cette ville qui l’a vu naître en 1971. Sur les murs, les slogans ont déjà fleuri : “Démolissons la moitié de la ville en cent jours”. Entre gravats et ruines, Yang Yi recherche ses anciens amis, tente de retrouver les coins qu’il fréquentait, questionne les habitants qui n’ont pas encore été délogés. Il est tellement ému qu’il en oublie presque de photographier cette ville qui doit d’abord être détruite pour être ensuite inondée. Une course contre le temps s’engage. La vallée résonne à coups de dynamitage. “Les destructions sont rapides. Elles laissent derrière elles une atmosphère de mort et de décomposition. A chaque photographie, je retiens ma respiration mais une fois prise, je m’échappe aussitôt. Je ne veux pas m’appesantir sur le sens qu’on peut trouver dans chacune de mes images. Ce qui est important c’est qu’elles ont été prises dans ma ville, avec tout ce que nous partagions en commun, notre accent, notre coriandre épicée, ces petits signes de tête, ces gestes amicaux que nous échangions mutuellement dans la rue, pour se dire bonjour quand nous passions d’une rue à l’autre, ces rues dans lesquelles nous déambulions avec nos aïeux. Cette série a été créée pour tout ça. Ce sera ma mémoire personnelle » Kaixian est aujourd’hui sous les eaux.

© Yang Yi / Galerie Paris/Beijing

« Déraciné » est son premier travail photographique. Un véritable coup de maître qui l’inscrit avec force dans cette filiation d’artistes chinois, qui, comme Zhang Dali s’interroge sur la manière dont on peut reconstruire sa mémoire dans la destruction de la ville qui l’a vue naître. Une réflexion à laquelle peu de Chinois échappent désormais.

Tous mes remerciements à Yang Yi.

© Philippe Pataud Célérier, paru dans Chine Plus N°8, octobre 2008

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